Dans mon précédent article nous étions à l'abbaye cistercienne des femmes de Maubuisson fondée par Blanche de Castille. Quelques années auparavant, Blanche de Castille aidait son fils Louis IX, futur Saint Louis, à fonder l'abbaye cistercienne de Royaumont, à Asnières sur Oise dans le Val d'Oise, pour y accueillir des moines. La construction fut aussi rapide qu'à Maubuisson (1228 à 1235).
Précisons que l'ordre monastique chrétien cistercien ou ordre de Cîteaux remonte à la fondation de l'abbaye de Cîteaux (située à une vingtaine de kilomètres de Dijon) par Robert de Molesne en 1098. L'ordre restaurait l'équilibre entre une pauvreté évangélique et le travail des mains. Royaumont comme Maubuisson relevaient directement de l'abbaye mère de Cîteaux.
Louis IX fait de nombreux séjours à Royaumont et accorde à l'abbaye dons en argent, en terre et avantages de toutes natures, plus une rente annuelle pour l'entretien des nombreux moines.
En 1297, année de la canonisation de Saint Louis, Philippe IV le Bel établit une chartre désignant l'abbé de Royaumont seigneur d'Asnières sur Oise ainsi que des terres possédées par l'abbaye.
L'abbaye souffre de la guerre de cent ans et des famines du Moyen âge ; à partir de 1549, avec la nomination par le roi d'abbés commendataires, elle continue de s'affaiblir. Les abbés sont de plus en plus souvent laïcs et considèrent l'abbaye comme une source de revenus et comme lieu de fêtes. En 1635, Louis XIII y danse un ballet qu'il a composé "La Merlaison" sur le thème de la chasse au merles (musique à écouter en fin d'article).
Mazarin est pourvu de l'abbaye en 1647. Il s'en défait rapidement au profit du fils d'Henri de Lorraine-Harcourt (qui a mené l'expédition des Flandres), le prince Louis Alphonse de Lorraine. Les Harcourt vivent à Royaumont en grands seigneurs jusqu'en 1728. Le dernier abbé, de Ballivières, mène grand train de vie et se fait construire un splendide palais abbatial dont il ne profitera pas. Il s'enfuit dès les prémices de la révolution laissant dix moines qui ne respectent plus beaucoup les règles cisterciennes.
En 1791, une loi déclare l'abbaye, ses moulins et ses fermes, bien national. Par une vente aux enchères elle est adjugée au marquis de Travenet. Le marquis reconvertit l'abbaye en filature de coton et les pierres de l'église démolie (à l'exception de la tourelle) sont utilisées pour construire des habitations ouvrières. La manufacture comptera jusqu'à 300 ouvriers.
En 1864 après la fermeture de la filature, l'abbaye est rachetée par la Congrégation des Oblats de Marie-Immaculée, puis reprise cinq ans plus tard par la congrégation des Sœurs de la Sainte-Famille de Bordeaux pour accueillir les novices. Celles-ci entreprennent la restauration de l'abbaye selon les plans d'origine. Mais les lois Combes de 1905 (séparation de l'Eglise et de l'Etat, instaurée par Emile Combes, médecin, Président du Conseil, surnommé "le petit père Combes" parce qu'il avait étudié au petit séminaire et à l'école des Carmes, étant destiné à la prêtrise !) contraignent les sœurs à l'exil.
L'abbaye est acheté par Jules Gouin, industriel, président de la Société des Batignolles, il en fait sa maison de campagne et poursuit la restauration des bâtiments.
Hôpital durant la guerre de 14/18, les portes de Royaumont sont ouvertes en 1938 aux artistes nécessiteux. En 1964, le projet est pérennisé sous forme de fondation chargée de conserver le monument et d'en faire un lieu de recherche et de création.
Aujourd'hui, Royaumont est un centre international pour les artistes de la musique et de la danse. C'est également un lieu de concerts.
Dès l'entrée on tombe sous le charme du parc et du bâtiment des moines qui se mire dans le canal alimenté par les eaux de la Thève. Ce canal circule dans le parc et sous les bâtiments principaux. Il assurait à l'époque des moines, l'évacuation des eaux usées vers la rivière l'Oise.
Le bâtiment des moines a conservé son volume ancien, il a été entièrement restauré au XIXe. A l'origine, la sacristie, la salle du chapitre et la salle des moines se trouvaient au rez-de-chaussée, l'étage abritait le dortoir qui communiquait avec les latrines. Aujourd'hui il est devenu hôtellerie, on y accueille séminaires et réceptions dans treize salles, quarante cinq chambres et un restaurant.
Du parc, on aperçoit le seul reste de l'église abbatiale, la tourelle de quarante mètres qui échappa à la destruction. L'espace de l'église a été conservé et les fragments de colonnes indiquent ses dimensions (à peu près celles de la cathédrale de Soissons).
Dans le cloître, en parti détruit, se sont succédées les restaurations. Un lavabo, dont il ne reste que l'emplacement, servait aux ablutions des moines. Il était alimenté par une source située sur les hauteurs de Viarmes et acheminé par un réseau de galeries souterraines. Ce réseau nommé "Fontaine aux Moines" est inscrit à l'inventaire des monuments historiques. Le cloître vaste et rectangulaire possède en son centre un bassin où un geyser jaillit à sept mètres, il est éclairé à la tombée de la nuit (œuvre de Yann Toma - artiste contemporain).
Du cloître on accède à la Chapelle (ancienne sacristie), au réfectoire et aux cuisines.
Dans la chapelle on peut voir quelques statuaires et documents ainsi que la très impressionnante clé de voûte de l'église abbatiale.
Le réfectoire communique avec les cuisines par un guichet où les moines venaient chercher les plats qui y étaient préparés. Ces deux salles ont été entièrement restaurées en 2011 et 2002. Le sol est somptueux, les carreaux unis et à motifs ont été fabriqués selon les méthodes du XIIIe siècle.
Dans le réfectoire, les vitraux datent de 1868 et l'orgue Cavaillé-Coll de 1937. Malheureusement pour le visiteur, des artistes répètent dans cette salle et le bric-à-brac de chaises, les sacs et vêtements à terre, nuisent fortement à l'esthétique de ce bel et grand espace, même s'il peut être agréable d'entendre des voix qui s'échauffent. Je ne photographierai que la partie dégagée de la salle.
Difficile d'imaginer les cuisines dans la petite salle voutée très sobre où s'expose la "Vierge de Royaumont", sculpture de la fin du XIVe siècle.
Comme à Maubuisson, les latrines témoignent du souci d'hygiène des moines. De l'extérieur on peut voir les 29 arcs en berceau correspondant aux 30 ouvertures sur lesquelles étaient installées 60 sièges dos à dos dans une salle divisée en deux par une cloison longitudinale. Les latrines se déversaient dans le canal qui traverse le bâtiment sur toute sa longueur.
A l'étage, dans la salle dite "des charpentes", où se trouvaient les latrines (non ouverte à la visite et réservée aux séminaires, dommage !) ont été installées des dalles de verres qui permettent de voir le canal en contrebas. (photo web)
Il nous reste à visiter le jardin des "neuf carrés", objet d'une belle brochure remise à l'entrée. Cruel désenchantement, certains carrés ont encore un peu de verdure mais pour beaucoup les plantes sont desséchées, les feuilles fanées, pas de fleurs. Reste les symboles :
- celui du jardin clos, vision symbolique de la Vierge Marie qui rend hommage à sa pureté : "Tu es un jardin clos, ma sœur, mon épouse, un jardin clos, une source scellée" (Cantique des Cantiques)
- et celui des plantes elles-mêmes, pureté, humilité, charité...énumérées dans ladite brochure par ailleurs très intéressante.
Malgré les petites déceptions, j'aime toujours autant ce lieu, j'y suis venue souvent à des saisons différentes. Il me manque de le voir sous la neige pour une visite romantique.
Abbaye de Royaumont - 95270 Asnières sur Oise
ouvert 365 jours par an - renseignements 01 30 35 59 70
Un grand merci à mon amie Emma :
qui m'a signalé que la musique du ballet, composé par Louis XIII - pouvait s'écouter sur youtube