Depuis longtemps je rêvais de Fontevraud. J'avais sans doute beaucoup trop attendu, beaucoup trop rêvé pour ne pas être un peu déçue. Certes, cette immense abbaye est très belle, mais, lors de ma visite, je n'ai pas ressenti dans ce lieu froid et touristique, le souffle monacal attendu.
Le fondateur de l'abbaye, Robert d'Arbrissel, est né en 1045 à Arbrissel en Bretagne. Ermite dans le forêt de Craon, des disciples puis des foules viennent le voir. Le pape Urbain II, informé de son renom, le charge d'enseigner au plus grand nombre l'Evangile. Robert se retrouve alors à la tête d'un groupe nomade de plusieurs centaines de disciples. Personnage singulier, il pratique une ascèse assez particulière visant le salut de l'âme par une mortification de la chair à l'épreuve de la mixité.
Très vite les autorités ecclésiastiques l'obligent à se fixer et à organiser une communauté séparant les hommes et les femmes : ce sera à Fontevraud entre 1099 et 1101.
Les disciples sont répartis dans quatre monastères : le Grand-Moûtier est réservé aux contemplatives, "vierges" ayant mené une vie irréprochable ; le couvent de la Madeleine est destiné aux sœurs converses, "filles repenties", femmes mariées, veuves ; dans le prieuré Saint-Lazare les sœurs soignent les malades et les lépreux et hors clôture, le couvent Saint-Jean-de-l'Habit regroupe les moines.
En 1104, Robert reprend sa vie errante et confie l'abbaye à la prieure Hersende de Montsoreau. Revenu en 1115, quelques mois avant sa mort, il nomme à la tête de l'ordre la première abbesse, Pétronille de Chemillé. L'abbesse est la mère de l'abbaye, l'ordre se réfère aux dernières paroles du Christ, qui, désignant Marie à son disciple Jean, dit "Voici ta mère".
Dès lors, jusqu'à la Révolution, trente-six abbesses issues de l'aristocratie angevine puis de l'entourage royal se succèdent à la tête de cet ordre double. Elles dépendent du Saint Siège au spirituel et de la justice du roi de France au temporel. La protection royale vaut à Fontevraud des privilèges et le titre d'abbaye royale.
Religieux et religieuses quittent les lieux en 1792. Les bâtiments abandonnés sont pillés et vandalisés. Napoléon fait de l'abbaye une prison, c'est ce qui la sauvera de la ruine. Six cents détenus des deux sexes arrivent en 1814, ils seront mille six cents en 1842, ils sont encore 500 lorsque la prison ferme en 1963.
Les chantiers de restauration se succèdent. En 1975, le Centre culturel de l'Ouest est créé avec un programme de manifestations : conférences, concerts, expositions etc. De nos jours le prieuré Saint-Lazare est devenu un hôtel de luxe et sa petite église un "iBar numérique" que je trouve, personnellement, d'un goût douteux.
J'ai aimé par contre, le cloître du Grand-Moûtier, la salle Capitulaire, et la tour d'Evrault qui faisait office de cuisine, une grande cheminée centrale et vingt cheminées secondaires en assuraient une parfaite aération.
Au milieu de l'église abbatiale, impressionnante par ses dimensions, sont "exposés" les gisants Plantagenêt : Aliénor d'Aquitaine, Henri II, Richard cœur de lion et Isabelle d'Angoulême, femme de Jean "sans terre", morte à Fontevraud après avoir pris le voile sur son lit de mort (je les préférerais présentés de façon moins ostentatoire).
Le gisant d'Aliénor (fin du XIIe) m'a beaucoup touchée. Elle porte le hennin à mentonnière, coiffe à fond plat complétée par un voile léger qui encadre son visage. Elle doit avoir une trentaine d'années. Elle tient dans ses mains un livre, peut-être un psautier ou le symbole de son amour pour la poésie. La pierre tufeau polychrome la fait revivre dans ce lieu auquel elle était très attachée.
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Dans le village de Fontevraud, au bout d'une allée ombragée on peut admirer la petite église Saint-Michel, construite à la fin du règne d'Henri II pour les nombreux ouvriers et artisans employés à la construction de l'Abbaye. L'autel en bois sculpté recouvert de feuilles d'or se trouvait dans l'église abbatiale au XVIIe siècle.
ALIENOR D'AQUITAINE
Quittant Fontevraud, j'ai eu envie de connaître mieux Aliénor. Ce qui m'a frappée en lisant sa vie, outre son destin fabuleux de reine de France, puis reine d'Angleterre, c'est son courage et sa capacité à voyager. Car ce n'était pas une mince affaire de circuler au Moyen âge, même si en sa qualité de reine, elle était accompagnée par de nombreux serviteurs et chariots transportant vêtements, attirails de cuisine, tapis, tentes etc. Les routes étaient chaotiques et peu sûrs. Aliénor était une bonne cavalière et d'une endurance hors du commun.
Après une vie de règne, de voyages et d'exil (Henri II la séquestre durant presque quinze ans à Chinon puis dans différents châteaux d'Angleterre), la belle et lettrée Aliénor se retire dans le silence des voutes de Fontevraud. Elle est septuagénaire. Elle a fait preuve, toute sa vie, d'une grande sollicitude envers les abbayes en particulier celle de Fontevraud.
Elle ne profite pas longtemps de sa retraite, son fils préféré, le roi Richard cœur de lion, se meurt à Chalûs (de nos jours en Haute-Vienne). Elle quitte Fontevraud et s'y rend, "plus vite que le vent" diront les chroniqueurs, en sept jours.
Déjà elle avait couru vers lui, en 1190, alors qu'il était bloqué dans le port de Messine en Sicile. Il partait pour la troisième croisade. Aliénor passe les Alpes, traverse la Lombardie cherchant à s'embarquer à Pise puis à Naples et finalement trouve des vaisseaux à Brindisi. Elle emmène avec elle Bérangère, fille de Sanche, Roi de Navarre : il faut une épouse et un héritier à Richard. De Sicile elle se rend à Rome puis s'embarque pour l'Angleterre en février 1191.
Quelques années plus tard, en décembre 1193, elle prend la mer, prête à affronter les tempêtes pour escorter la rançon destinée à libérer Richard des prisons de Léopold, duc d'Autriche. Il a été arrêté à son retour de croisade. Aliénor le retrouve à Cologne et rentre avec lui en Angleterre en mars 1194.
Elle avait compris l'engouement de Richard pour la croisade, car elle-même, à vingt-quatre ans, avait parcouru l'Aquitaine pour convaincre ses vassaux de participer à la seconde croisade avec son époux Louis VII. Les croisés étaient partis de Metz, les chariots chargés de bagages s'étendaient sur des lieues. Il avait fallu cinq mois pour atteindre Constantinople, traverser la Syrie, Antalya, prendre la mer pour Antioche et enfin atteindre la Terre Sainte. La croisade avait été un échec, le périple avait duré plus de deux années. Le couple était désuni, le mariage fut annulé. Quelques mois plus tard, Aliénor épousait Henri Plantagenêt (futur Henri II d'Angleterre). Elle lui donnait cinq garçons et trois filles, avec Louis VII elle n'avait eu que deux filles.
A Chalûs, Richard meurt le 6 avril 1199, quelques temps après Jeanne et Marie de Champagne. Sur les dix enfants d'Aliénor deux seuls sont encore vivants, Jean et Aliénor.
Doutant des capacités de Jean sans terre, qui succède à Richard, elle surmonte sa douleur et entreprend, au printemps 1199 à près de quatre vingt ans, une chevauchée politique de trois mois : Loudun, Poitiers, Niort, La Rochelle, Saintes, Bordeaux, pour reprendre en main son domaine. Elle retrouve Jean à Rouen en Juillet.
Ses voyages ne sont pas finis, le dernier lui fait franchir les Pyrénées pour se rendre à Burgos auprès de sa fille Aliénor, épouse d'Alphonse VIII de Castille. Après un séjour heureux à la cour elle ramène en France sa petite fille Bianca, douze ans, renommée Blanche pour épouser Louis de France.
En 1200, Aliénor est de retour à Fontevraud, mais en 1202 un conflit avec Philippe Auguste l'oblige à se réfugier à Poitiers où elle sera davantage en sécurité. Elle est contrainte de s'arrêter au château de Mirebeau rapidement assiégé. Jean arrivera à temps pour éviter son arrestation et la libérer.
Revenue enfin dans le silence de son cher Fontevraud, elle meurt le 31 mars 1204.
ABBAYE DE FONTEVRAUD - Département du Maine et Loire
Photo MP sauf intérieur de la salle capitulaire (photo Wikipédia)