Portée par "La Grande Vague", une foule est venue s'échouer devant le Grand Palais. A l'intérieur cinq cents pièces exceptionnelles du très célèbre Hokusai. Dans cette foule de nombreux enfants, sans doute parce qu'Hokusai est présenté comme le pionnier des "manga" alors que ses carnets d'esquisses spontanées n'ont qu'un lointain rapport avec les bandes dessinées chéries par les enfants.
La carte de la Maison des Artistes me permet d'entrer sans attendre. Déception : l'intérieur est tout aussi bondé. Il faut faire la file pour s'approcher des œuvres. Les enfants s'ennuient. Guettant les espaces libres, je louvoie. Je peux admirer de près une centaine d'œuvres. Aurais-je pu regarder attentivement cinq cents estampes ? J'achète le petit catalogue "Hokusai l'expo", les reproductions ne sont pas mauvaises et je pourrai, à loisir, scruter dans le détail les œuvres que je n'ai pas pu aborder.
PETIT RAPPEL HISTORIQUE ET TECHNIQUE
L'évolution de la peinture japonaise au XVIIe tient à l'essor de ses grandes villes et à la stabilité politique. A Edo (actuelle Tokyo) après l'incendie de 1657, la bourgeoisie désire posséder des peintures à son goût. Pour répondre à la demande on fait appel à la technique des estampes réservée jusque là à l'illustration des livres. A la demande d'un public qui souhaite des coloris éclatants, Hishikawa Moronobu (1618-1694) ajoute sur ses estampes des couleurs à la main. Après sa mort on exploite une technique appelée "tan-e" (tan : rouge orangé) en mettant à la main quelques touches de rouge orangé sur la gravure noir et blanc. Puis une technique plus avancée "beni-e" (beni : pourpre), due sans doute à Okumura Masanobu consiste à appliquer toujours à la main des touches de couleurs claires, pourpre, jaune, vert ou violet.
Mais éditeurs et artistes cherchent le moyen xylographique de colorier les estampes. En s'inspirant des estampes polychromes chinoises on commence par ajouter quelques couleurs (le pourpre et le vert bleuté) à la gravure en superposant le tirage de chacune des couleurs (on grave une planche par couleur). Puis des artistes de talent, notamment Suzuki Harunobu (1725-1770) en collaboration avec les meilleurs graveurs et imprimeurs font des tirages de luxe employant sept ou huit couleurs.
L'artiste dessine sur un papier mince et translucide en fibre de murier, puis le confie à un graveur qui le colle à l'envers sur une planche de bois poli (variété de cerisier choisi pour sa dureté). La planche est creusée au canif en suivant les traits du dessin. Le dessin sur papier coupé en même temps est détruit. Le graveur réalise d'abord le "bois de traits" pour les contours du dessin et l'écriture, puis les planches correspondant à chacune des couleurs des aplats, les "bois de teinte".. Les nombreux passages sous la presse exige un papier de qualité supérieure (hôsho).
C'est cette technique xylographique, "nishiki-e" qui sera employée par Hokusai pour ses estampes.
HOKUSAI
Hokusai est né en 1760 à Warigesui dans le quartier de Honjo incorporé à Edo dans la première moitié du XVIIIe siècle. Il est adopté à l'âge de trois ou quatre ans par son oncle, artisan de haut rang, fabricant de miroirs en bronze. En 1773-1774, il entre en apprentissage dans un atelier de xylographie.
Durant sa longue vie, Hokusai a utilisé cent vingt noms d'artistes et pseudonymes et changé fréquemment de style.
Ses premières estampes datent de 1779, il devient l'élève de Katsukawa Shunshö (1726-1792), spécialiste des "kabuki", portraits d'acteurs célèbres et de l"ukiyo-e", peintures de genre et de goût populaire. L'ukiyo-e est à son apogée à la fin du XVIIIe siècle.
Hokusai abandonne l'école katsukawa, découvre quelques livres hollandais illustrés de gravures parvenus au Japon (les hollandais étaient les seuls à pouvoir communiquer avec le Japon par l'unique port de Nagasaki). Il publie alors plusieurs séries de paysages purs de style "occidental" consacrées au vues du Tokaido, grande route reliant Kyôto à Edo, et au mont Fuji. Fréquentant une élite culturelle, il édite des "egoyomi", calendriers illustrés, et des "surimono", estampes hors commerce distribuées entre amis.
Il s'affirme en tant qu'artiste indépendant et réputé, suscitant élèves et imitateurs. Il opte pour le nom qui l'a rendu célèbre, Hokusai, en hommage à la divinité bouddhique Myôken, incarnation de l'étoile du Nord, à laquelle il voue un culte particulier. Parallèlement à sa production de surimono, d'estampes polychromes et de peintures, il illustre un grand nombre de "yomihon" (romans fleuves inspirés des légendes chinoises).
A partir de 1814, il commence la publication du Hokusai Manga, sorte d'encyclopédie de dessins et croquis fournissant aux artistes un répertoire iconographique de modèles sur tous les sujets. Treize carnets ont paru de son vivant et deux après sa mort.
Au début des années 1830, Hokusai réalise ses œuvres les plus célèbres : la série des "Trente-six vues du Mont Fuji", les cascades, les oiseaux, et des thèmes fantastiques comme les fantômes. Cette période se caractérise par la production de nombreux surimono. Hokusai s'impose également comme un peintre remarquable.
En 1839, un incendie détruit sa maison avec tout son matériel, ses croquis et dessins. Il se désintéresse de l'estampe et s'adonne surtout à la peinture.
Le succès inattendu d'un jeune rival va ébranler sa suprématie : Andô Hiroshige, qui publie, en 1834, un recueil des "Cinquante-trois étapes de la grande route de Tokaido".
Tombé malade au printemps 1849, il meurt dans la misère au mois de mai, presque ignoré, laissant une production monumentale. Il est enterré au temple de Keikoji dans le district d'Asakusa d'Edo où il a passé la majeure partie de sa vie.
Très intéressante exposition à condition d'avoir, pour comprendre la richesse des estampes, quelques connaissances techniques, d'autant que les légendes sont truffées de termes japonais Comme pour toutes les expositions ultra-médiatisées, trop de monde pour apprécier véritablement les œuvres qui doivent être vues de très près.
En raison de la fragilité de certaines œuvres, l'exposition est réalisée en deux volets avec une interruption entre le 20 Novembre et le 1er décembre afin de remplacer une centaine d'estampes issues de la même série. Exposition jusqu'au 18 janvier 2015 - Grand Palais Paris
QUELQUES MOTS SUR LE JAPONISME
A la fin des années 1850, le peintre graveur Félix Bracquemond (1833-1914) découvre fortuitement un volume des Manga. Est-ce le carnet n°6 (provenant de la collection d'un hollandais, Overmeer Fisscher (1800-1848), qui avait travaillé à Nagasaki), premier ouvrage d'estampes japonaises entré à la BNF en 1843 ? Bracquemond devient le premier artiste européen à copier les œuvres japonaises. Il reproduit, vers 1867, sur un service de porcelaine réalisé par Eugène Rousseau, des figures animales d'après Hokusai.
Pour l'exposition Universelle de Paris de 1867, le gouvernement shôgunal du Japon passe une commande officielle aux meilleurs artistes japonais de l'époque afin de faire connaître les mœurs japonaises. Les artistes font partie de la dernière génération de l'ukiyo-e. Les estampes vendues sur place contribuent pour une bonne part à la vague "japonisme". C'est donc à travers le maniérisme que Manet, Monet, Degas, Van Gogh et tant d'autres ont été influencés par les estampes japonaises.
En 1868, avec l'ère Meiji, le Japon s'ouvre au monde extérieur, c'est le début de la politique de modernisation.
En août 1876, Emile Guimet, industriel lyonnais, part en mission au Japon avec Félix Régamey, peintre. Ils sont séduits par tous les aspects de la vie japonaise. A leur retour en France, ils sont les propagandistes de l'art japonais. Guimet conçoit le Musée des Arts Asiatiques de Paris, qui portera son nom. Il est inauguré en 1889. La même année, l'Exposition Universelle fait découvrir les grands maîtres japonais du XVIIIe siècle.
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