Je viens de découvrir, à l'Orangerie des Tuileries, des tableaux méconnus d'Emile Bernard ainsi que son parcours complexe qui pourrait porter le titre du roman de Huysmans, associé à l'esthétique symboliste, "A rebours".
Emile Bernard, initiateur du "Cloisonnisme" et du "Synthétisme", se voulant à l'avant-garde de l'avant-garde, s'éloignera de ses contemporains pour rechercher l'idéal classique. Son exil de France durant dix années et sa classification dans l'arrière-garde par les historiographes, qui ne s'attachent au début du XXe siècle qu'à l'avant-garde, le feront tomber dans l'oubli.
"A l'heure qu'il est, 1918, j'ai cinquante ans, j'ai produit environ deux mille tableaux, vingt livres, romans, critiques, philosophie, dont quelques-uns seulement sont édités, près de mille gravures sur bois et eaux fortes, plus de cent mille vers, plus de trois mille dessins. J'ai en outre innové dans le meuble et la tapisserie. J'ai fait connaître Cézanne et Vincent Van Gogh. J'ai dirigé plusieurs revues d'art, j'ai parcouru dix nations, visité plus de cent musées, lu un grand nombre d'ouvrages et presque tous les chefs d'œuvre. Je n'ai rien épargné pour connaître et faire aimer et défendre le Beau. Pourtant je suis quasiment inconnu".
Emile Bernard n'aimait pas se répéter, il était constamment à la recherche de l'idéal, du beau, du grand, du parfait. Ses œuvres dites "d'arrière-garde" sont pour moi aussi intéressantes que celles de ses débuts. Dans ses nus on retrouve le classicisme des grands maîtres italiens de la Renaissance mais aussi Courbet, ses compositions aux corps mêlés sont impressionnantes. Son travail de graveur, resté encore plus dans l'ombre, est d'une grande diversité aussi bien technique que graphique.
J'ai été enthousiasmée par cette exposition. Pour apporter ma petite contribution à le faire mieux connaître, et démontrer la richesse de son œuvre, je vous propose de le suivre année par année avec à l'appui les images que j'ai pu trouver sur internet.
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1868 - 26 avril - Emile Bernard naît à Lille. Il est le fils d'un marchand d'étoffes. Il a une sœur Madeleine, de trois ans sa cadette. La famille quitte Lille pour Paris, Emile Bernard a dix ans. C'est un enfant surdoué, choyé entre ses parents à Asnières et sa grand'mère à Lille.
1884 - Pour préparer le concours d'entrée aux Beaux Arts de Paris, il entre dans l'atelier de Fernand Cormon, fait la connaissance de Toulouse Lautrec et de Van Gogh. Son futur complice, Louis Anquetin, massier de l'atelier, l'initie à "l'impressionnisme"
"L'heure de la Viande" - Pastel et gouache sur papier d'emballage - 125x170cm - coll.part.
Cliquer sur les images pour les agrandir
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1886 - Jugé indiscipliné, Emile Bernard est renvoyé de l'atelier de Cormon. Il aborde le "pointillisme" avec Schuffenecker, entreprend un voyage de six mois, à pied, à travers la Normandie et la Bretagne, rencontre Paul Gauguin qui l'ignore.
Verger à Pont-Aven - huile sur panneau 52x52cm, Quimper, Musée des Beaux Arts
Dès son retour à Paris, il se rend avec Anquetin dans l'atelier de Paul Signac. Tous deux rejettent en bloc ce qu'ils voient. Van Gogh leur a fait découvrir les estampes japonaises, ils mettent alors au point une peinture en compartiments cernées de noir, le "cloisonnisme".
Jean Morréas publie dans le Figaro le "Manifeste symboliste" : "l'œuvre d'art doit exprimer une idée en utilisant des signes et des symboles, le tableau doit être "synthétique".
1887 - Deuxième voyage en Bretagne et cette fois collaboration avec Gauguin.
"Un après midi à Saint Briac" huile sur toile 46x55cm
"Pont de fer à Asnières" huile sur toile 46x54cm - New York
"Pot de grès et pommes" huile sur toile 46,2x55,2cm - Musée d'Orsay Paris
"Bretonnes dans la prairie" huile sur toile 82x30cm
1888 - Portrait de Gauguin par Emile Bernard - Portrait d'Emile Bernard par Gauguin
1889 - Il participe à l'exposition au café Volponi. Tourmenté, en proie à des doutes moraux et artistiques, il trouve un réconfort dans le retour à un mysticisme chrétien. Il exécute deux tableaux pour sa chambre d'Asnières, le "Christ au Jardin des Oliviers" et "le Christ décloué de la croix".
Il collabore à de nombreuses revues et contribue à la reconnaissance de Van Gogh et Gauguin.
"Le Christ décloué de la croix" huile sur toile 90x150cm - coll.part.
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1890 - Voyage en Flandres. Mort de Van Gogh. Emile Bernard expose chez le Père Tanguy.
"autoportrait" - huile sur toile 55,5x46cm - Musée des Beaux Arts Brest
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1891 - Le critique d'art Albert Aurier reconnaît Gauguin comme l'initiateur incontestable du Symbolisme sans citer Emile Bernard, la rupture entre les deux peintres est définitive.
Moisson au bord de la mer à Saint Briac - huile sur toile - 73,3 x 92,5cm
1893 - Voyage à Florence, Constantinople, Ile de Samos,Jérusalem, Alexandrie et enfin le Caire où il s'installe pour dix années. Il se marie avec Hanenah Sâati. Ils auront cinq enfants, deux seulement survivront, Irène et Antoine.
La production d'Emile Bernard est intense. Il réalise une série de grandes peintures représentant la vie quotidienne en Egypte. L'Orient le rapproche du passé et de la beauté plastique.
1894 - "autoportrait au turban jaune" huile sur toile 60x49cm - Quimper -
Derrière lui Hanenah, soumise, yeux baissés.
1895 - "Pleureuses - fête arabe" huile sur toile 84x100cm - Paris Musée Branly
1898 - "Les trois races" huile sur papier marouflé sur toile 120,7x180,3cm - Los Angeles
1900 - "femmes puisant l'eau sur le Nil " 227,3x307,1 - Lille Palais des Beaux Arts
"Fumeuse de Haschich" huile sur toile 114x85cm - Paris Musée d'Orsay
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1901 - Emile Bernard séjourne à Paris, expose à la galerie Vollard et s'éprend d'Andrée Fort (la sœur du poète). Elle l'accompagne au Caire (ils feront, dit-on, ménage à trois avec Hanenah)
"autoportrait" - huile sur toile 53x45cm - Lille Palais des Beaux Arts
Inscription sur le côté en rouge : "L'art seul peut te sauver de l'abîme où tout tombe, Ecris, peins, sculpte, car il faut vaincre la tombe"
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1904 - Retour en France. Emile Bernard rend visite à Cézanne à Aix en Provence et publie le texte de ses entretiens dans la revue "L'occident". Il s'installe à Tonnerre avec Andrée Fort et ses enfants Irène et Antoine (Hanenah est restée dans sa famille au Caire). Trois enfants vont naître : Milandre en 1905, Michel-Ange en 1906 et Emilienne en 1907). Il demeure le plus souvent à Montmartre où il reçoit artistes et intellectuels qui partagent ses recherches sur le mouvement "d'arrière-garde". Il fonde la revue "La Rénovation Esthétique", expose ses idées sur l'art et son opposition à l'avant-garde. Isolé, il signe sous différents pseudonymes.
1908 - "Après le bain - Trois Nymphes" 121X151cm - Lille Musée des Beaux Arts
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1912 - Après le décès de son père et l'héritage familial, il s'installe, 15 quai de Bourbon, à Paris, dans l'ancien atelier de Philippe de Champaigne. Il accroche au dessus de la cheminée un autoportrait où sa maîtrise technique veut dénoncer le modernisme : cette même année la Ruche bourdonne !
autoportrait - huile sur toile 78x64cm - coll.part.
1913 - Il rencontre Armène Ohanian, arménienne de 26 ans, danseuse de Shamakha, qui a commencé sa carrière à Bakou et est installée à Paris depuis 1912. Leur liaison durera deux ans.
photo d'Armène
"Armène au tambourin" - huile sur toile 100,5x95;5cm. 1915 coll.part.
1914 - Il se replie à Tonnerre avec sa famille
1915 - Séjour à Villeneuve-Lès-Avignons où il réalise des fresques pour l'Abbaye.
1916 - Il achève l'illustration des "Fleurs du Mal" de Baudelaire - xylographie
1918 - Illustration des œuvres de François Villon - xylographie
1925 - Exposition de la première version du "Cycle humain" au Salon des Tuileries
1931 - Illustration de "La fin de Satan" de Victor Hugo
eau-forte et quatre lavis
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1933 - Il tombe amoureux d'une prostituée, Rina (Catherine Schwartz) qu'il tente de "sauver". Bien que fervent catholique il a fréquenté et peint les bordels. Il dénonce le tragique de la prostitution et raconte son histoire avec Rina dans son livre "L'esclave nue" : "le plus grand amour est celui que l'on ressentait dans l'âge mûr pour une fille perdue que l'on veut sauver"
1937 - Hanenah Sâati décède au Caire, il épouse Andrée Fort l'année suivante.
autoportrait - huile sur toile
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1939 - Il s'installe à Pont Aven pour deux ans. Il peint les fresques pour l'église de Saint-Malo-de-Phily.
Il présente sa candidature à l'Académie des Beaux Arts. Il est élu en novembre 1940.
Il s'éteint le 16 avril 1941. seul, dans son appartement du quai Bourbon.
A l'encontre des peintres qui s'enferment dans un système, Emile Bernard fait preuve d'une grande liberté d'expression. Il ne se soucie pas de l'air du temps et suit, sans doute, une logique qui lui est propre et qui peut apparaître déroutante. Il est peu présent dans les encyclopédies d'art. Peu connu, il l'est encore moins pour ses œuvres littéraires. Il s'est essayé à tous les genres, romains, poésie, théâtre, biographies, essais. Ses écrits paraissaient le plus souvent dans des revues dont il est difficile de trouver trace. Sa correspondance est particulièrement riche.
De nos jours, les tableaux d'Emile Bernard ne trouvent pas toujours d'acquéreur. Sa cote est loin d'atteindre celle de son ami Van Gogh ou de Gauguin. Ce mois ci Ader a adjugé une huile sur toile "nu au miroir" de 100x76cm à seulement 3.000 euros. L'exposition de l'Orangerie fera peut-être grimper les enchères, mais Emile Bernard en serait il heureux, lui qui haïssait les marchands qu'il accusait de spéculer sur l'art moderne ?
Un seul regret à la sortie de cette passionnante exposition, elle ne présente, dans une petite salle, que quelques estampes sous vitrine.
Jusqu'au 5 janvier 2015
Musée de l'Orangerie - Jardin des Tuileries - 75001 PARIS.
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