Huile sur toile - Musée Condé à Chantilly - 180x126cm - Commande de Louis XV pour la salle à manger des petits appartements du château de Versailles dite "des retours de chasse"
1735. Nous sommes à Versailles, sous le règne de Louis XV. Tous ces hommes , réunis autour d'une table dans un décor somptueux, reviennent de la chasse. Ils ont quitté leurs costumes de chasseurs, redingotes, gilets et tricornes pour leurs habits de cour.
Ils dégustent ,en grande quantité, les huitres qui ont été apportées de la côte par coureurs rapides. Sur la table, la vaisselle est en argent. L'étiquette veut que ni bouteille, ni verre ne touchent la table. Les verres sont posés à l'envers dans les verrières, petits bols rafraîchisseurs en porcelaine du Japon ou de Chantilly où une manufacture existe depuis 1725. Devant la table se tient un petit meuble style rocaille, avec son bac à glace, afin de mettre au frais les bouteilles.
Un des gentilshommes vient de couper, avec son couteau, la ficelle retenant le bouchon d'une bouteille, et tête levée, l'air amusé, regarde le bouchon qui vient de sauter. Un autre gentilhomme sert un verre. La bouteille qu'il tient à la main a un fond caractéristique d'un vin, objet d'un véritable engouement depuis 1735, appelé le "saute bouchon", vin effervescent du pays de Champagne.
De nos jours, ce monceau d'huitres et le Dom Pérignon coulant à flot coûteraient une fortune et ce déjeuner serait encore réservé aux seuls dieux sur la terre, mais en petit comité soyons fous :
Champagne pour tout le monde !!
Huitres pour celles et ceux qui les aiment,
et
BONNE FIN D'ANNEE
à vous tous, fidèles lecteurs.
Michèle PELLEVILLAIN
L'invention du champagne est, pour les uns due aux français, pour les autres aux anglais. Ne chicanons pas, les idées peuvent jaillir en même temps, se croiser, se compléter.
En France, le bon moine Dom Pérignon (mort en 1715) officiait avec Dom Ruinart dans les celliers de l'Abbaye d'Hautvillers près d'Epernay. Lors d'un pèlerinage à l'Abbaye de Saint-Hilaire, dans le département de l'Aude, Dom Pérignon découvre la méthode de vinification des vins pétillants de Limoux (fabriqués depuis le début du XVIe siècle). Les deux moines sont surtout à l'origine des techniques d'assemblage entre les différents cépages et dans l'art de sélectionner les parcelles. Le vin est tiré au tonneau (inventé par les Gaulois, cocorico !), pour le vider il faut boire 250 litres et quelques !
Les Anglais connaissent le secret des bulles depuis le XVIIe siècle, savent transformer le vin tranquille en vin mousseux. A cette époque les vins de Champagne voyagent en tonneaux. Les vins sont tranquilles à cause du froid qui sévit à l'automne, la fermentation n'est pas achevée. Les négociants anglais disposent, dès 1660, de bouteilles en verre épais et très solide (well done !), les verriers français mettront longtemps à les égaler. Ils mettent le vin tranquille en bouteilles. Avec le retour de la chaleur au printemps, la fermentation reprend, ce qui rend le vin pétillant. Comme pour l'adoucir ils ajoutent du sucre de canne, cela accentue le phénomène : le vin fait plus que pétiller, il mousse, au point qu'il faut ficeler les bouchons pour éviter qu'ils sautent. Les Anglais ont redécouvert les avantages du liège (que l'antiquité Gréco-latine connaissaient), le bouchon est donc en liège et on le ficelle avec des fils de lin (plus tard le bouchon sera ficelé avec du fil de fer) .
Belle idée française ou anglaise, qu'importe, la mode des bulles se répand en Champagne dès 1720. A partir de 1735, sous le règne de Louis XV, le vin effervescent de Champagne a un succès immédiat dans l'aristocratie et à la cour. Le "saute bouchon" fait oublier le rigorisme de la fin du règne de Louis XIV. Légende ou fait historique, la première coupe à champagne apparue au XVIIIe siècle aurait été moulée sur le sein de la marquise de Pompadour !