NAISSANCE DE L'INTIME
Les bains publics, fréquents au Moyen Age, disparaissent durant la Renaissance. Prendre un bain, s’immerger dans une cuve devient une pratique rare. Il existe seulement, dans quelques grands châteaux, des "appartements de bains", et dans les villes des «bordels-étuves» où l’on se restaure tout en trempant dans l’eau, et où les lits ne sont pas très loin.
Il faut dire que l’eau est rare dans les villes. En outre, pour le commun des mortels, l’idée de s’y tremper fait peur : les veines s’ouvriront, l’eau pénètrera dans les principaux membres et avec elle le « venin » de la peste.
L'eau étant absente, on pratique une toilette sèche dans la chambre ou le boudoir. On s'essuie avec des étoffes douces et blanches, on s'enduit de parfums, d'onguents, on porte sur soi des "pommes de senteur". Seuls les doigts sont trempés dans ce que l’on ne peut même pas appeler une cuvette, plutôt un plat. Ce qui compte c’est de changer de linge. «Une bonne chemise de toile changée tous les jours vaut, à mon avis, le bain quotidien des Romains» (Martin Lister).
Le mot « toilette » qui désignait tout d’abord l’étoffe (la toile) qui recouvrait la table où l’on posait les ustensiles de soin, va s’appliquer désormais au rite de changer de linge. Cette toilette n’est pas intime, elle se fait en présence de domestiques, de visiteurs. «On dit qu’on rend visite à quelqu’un à sa toilette, quand on le vient entretenir pendant qu’il s’habille ou se déshabille» (Dictionnaire universel).
Au début du XVIIIe siècle, la « toilette » est la même que celle inventée au siècle précédent, mais le langage se précise. On invente le « lever » : un serviteur apporte une boisson, aide à enfiler les bas. Lors de la « petite toilette », on se fait coiffer, habiller ; lors de la « grande toilette » le poudrage et le maquillage vont dissimuler les défauts de la peau, marquée en ces temps là par la petite vérole. Le parfum reste indispensable, les odeurs corporelles et celles de la ville sont extrêmement fortes.
Dans le courant du XVIIIe siècle les frayeurs du passé disparaissent, l'eau revient progressivement. La fin de la toilette sèche est une révolution, même si les ablutions restent partielles : bains de pieds et recours au bidet pour les parties intimes. La promiscuité n'est plus tolérée mais il n'y a pas encore d'espace réservé. Les ablutions attirent les indiscrets derrière les portes entrebâillées. C'est seulement dans les bains collectifs, qui reviennent à la mode, que l'on trouve des espaces clos. Jean-Jacques Poitevin installe à Paris en 1761, sur la Seine, une péniche-bain comportant des cabinets individuels.
A la fin du XIXe siècle le lieu de la toilette devient réservé, l’espace se ferme. L’eau devient plus accessible, la pratique d'ablutions peut être quotidienne au moyen de bassines ou baquets, d'éponges et de savons. Avec le XXe siècle douches et baignoires se démocratisent, mais l'eau courante n'est pas encore distribuée partout et encore moins dans les étages des logements. La baignoire pour ceux qui en possèdent , installée dans un lieu clos, offre un lieu de plaisir aussi psychologique que physique.
De nos jours la salle de bain est présente dans nos maisons, dans nos appartements, l’eau coule à flot. La toilette est pour nous un rite quotidien, on se prélasse sous la cascade tiède de la douche ou l’on s’immerge longuement dans un grand bain chaud. Propreté et plaisir sont liés. Que l’espace soit simple et petit, ou grand et somptueux, c’est un lieu intime, privé, où l’on se revivifie. En s’abandonnant à ce luxe on oublie que l’eau manque encore dans de nombreux pays.
C’est ce rite de la toilette, illustré depuis le Moyen Age par les graveurs et les peintres, que nous fait vivre le Musée Marmottan avec une exposition extrêmement riche.
On y découvre, au fil du temps, des représentations liées à des pratiques symboliques de la fécondité, puis des femmes se parant devant leur miroir et aussi des thèmes libertins.
A partir de la fin du XIXe siècle, le thème de la "femme à la toilette" renouvelle le genre du nu : celui-ci n'est plus traité de façon académique, il s'adapte à un lieu, celui du cabinet de toilette. Avec Degas et Bonnard la femme prend toutes les poses possibles. Les objets : brocs, bassines, éponges, ont aussi leur place dans le tableau.
Au XXe siècle, avec Cézanne, Picasso, Kupka, le nu féminin n'est plus imitatif, il devient un problème formel. Désormais la toilette est surtout liée à la mode et à la publicité pour les cosmétiques et le corps féminin reste un sujet essentiel pour les photographes.
Les photos qui suivent sont issues d'Internet -
Tissée vers 1500 au Pays bas. 287x265cm - Une des 6 tapisseries dédiées à la vie seigneuriale. Jeune femme au bain.
Anonyme école de fontainebleau -111x98cm - Dame à sa toilette XVIe siècle huile sur bois - Kunstmuseum Bâle. Cette image inaugure un type de représentation promis à une grande fortume au siècle suivant
Nicolas Régnier - Jeune femme à sa toilette 1626 - 130x105cp - huile sur toile - Lyon Musée des Beaux arts - La femme au miroir est toujours fastueusement vétue, le peintre prouve sa virtuosité
Abraham Bosse (d'après) La vue - femme à sa toilette - après 1635 - 104x137cm huile sur toile - Musée des Beaux arts de Tours.
Georges de la Tour - La femme à la puce - 1638 - 121x89cm - huile sur toile - Nancy - Musée lorrain. Une femme mélancolique, sans doute de milieu modeste, écrase une puce entre ses ongles
François Boucher - 1738 - 86,3x76,2cm - La Mouche ou Une dame à sa toilette huile sur toile - collec.particulière.
Fançois Eisen - Jeune femme à sa toilette 1742 - huile sur bois - 36,5x27,3cm Abbeville - Musée Boucher-de-Perthes - La jeune femme s'apprête à utiliser le bidet situé derrière elle. La servante verse l'eau et chasse la fillette.
Cliquez pour agrandir les photos. François Boucher - L'enfant gâté et la Jupe relevée - 1742 ou1760 ? - 52,5x42cm - huile sur toile - collec.parti.
Wtadyslaw Slewinski - Femme peignant ses cheveaux 1897 - huile sur toile - 64x91cm - Cracovie - Musée national
Eugène Lomont - Jeune femme à sa toilette - 1898 - huile sur toile - 54x65cm - Beauvais -musée de l'Oise
Toulouse-Lautrec - La Toilette - Mme Favre se faisant les mains - 1891 - peinture à l'essence sur carton - 76x72cm - Suisse, collection Nahmad
Fernand Léger - Les femmes à la toilette - 1920 - huile sur toile 92;3x73,3cm Suisse, collection Nahmad