" Velázquez a trouvé le parfait équilibre entre l'image idéale qu'on lui demandait de reproduire et l'émotion qui submerge le spectateur" Francis Bacon
Si l'on peut admirer , dans l'importante collection espagnole du musée du Louvre , Goya, le Greco, Zurbaran, Murillo, Ribera .., nous ne pouvons voir aucun tableau de Velázquez , seulement six œuvres de peintres qui gravitaient autour du Maître.
Le Louvre a manqué l'occasion de posséder un Velázquez lors d'un échange fait avec l'Espagne en 1941. Le Maréchal Pétain cherchait l'appui de Franco pour les négociations avec l'Allemagne. La France céda à l'Espagne des œuvres importantes comme "La dame d'Elche", une sculpture espagnole du Ve siècle avant JC, et "L'Immaculée Conception" de Murillo. En contrepartie, les conservateurs du Louvre pouvaient choisir au Prado deux tableaux parmi ceux que le musée possédait en deux exemplaires. Ils firent le bon choix entre les deux portraits d'Antonio de Covarrubias attribués au Greco. Manque de chance, entre les deux portraits de la reine Marie-Anne d'Autriche attribués à Velázquez, ils choisirent une réplique d'atelier.
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Velázquez Marie-Anne d'Autriche - Musée du Prado et atelier de Velázquez - Musée du Louvre 209x125cm - vers 1652
Les tableaux de Velázquez sont rares (cent vingt conservés aujourd'hui) et surtout concentrés au musée du Prado (ce qui est légitime), quelques uns sont à Londres, à Rome,ou à Vienne etc. L'exposition du Grand Palais est la première grande rétrospective consacrée au Maître, elle présente soixante quatre chefs d'œuvres.
10 h du matin, étonnamment pas de file d'attente. Il en sera de même lorsque je ressortirai, Vélasquez n'attire pas la foule, et pourtant…
… pourtant ses portraits sont une merveille de sobriété et de naturel. Sa peinture qui semble à première vue d'une réalité surprenante n'est constituée, si l'on se rapproche des œuvres, que d'une succession de touches, un "tremblé du pinceau" , étonnant dans les tissus, les dentelles.
Vélasquez travaille "alla prima", il attaque directement la toile sans dessin préalable. Ses ennemis affirmaient "tout son art se limite à savoir peindre une tête", Velázquez ne peint pas "une tête", mais des physionomies vivantes et présentes qui nous parlent. D'ailleurs le pape Innocent X aurait dit en voyant son portrait : "troppo vero".
Diego Velázquez voit le jour à Séville en 1599. Ainé de huit enfants, d'un homme de loi d'origine portugaise et d'une demoiselle de petite noblesse, il se fera connaître sous le nom de sa mère selon la tradition andalouse. Très tôt il découvre sa vocation artistique. Il entre à 11 ans dans l'atelier de Francisco Pacheco. Après cinq ans d'apprentissage il est agréé par la corporation des peintres et épouse Juana, la fille de son maître.
A partir de 1623, Velázquez devient peintre de cour, "Peintre de chambre" du roi Philippe IV, c'est ce qu'il souhaitait ardemment. Il doit répondre aux demandes de répliques des portraits de la famille royale. Beaucoup sont peintes par son atelier, et par son bras droit, Bautista Martinez Del Mazo, qui deviendra son gendre.
En 1643 il est nommé valet de chambre, sans exercice, assistant de la surintendance des Travaux Particuliers. En 1649, il est chargé de rassembler des œuvres d'art pour le roi, il effectue ainsi son second voyage en Italie (il peint à Rome le portrait du pape Innocent X). Puis il obtient la charge suprême de grand maréchal du Palais et en 1659 l'habit tant espéré de l'ordre de Santiago (ordre militaire et religieux catholique - Velázquez porte l'emblème sur sa poitrine dans son tableau des "Ménines" peint en 1656 - il aurait été rajouté après sa mort). En 1660, année de sa mort, il assiste en qualité de grand maréchal, au mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse, fille de Philippe IV.
La plus grande partie de sa vie, absorbée par les tâches administratives, son principal client étant le roi d'Espagne, Velázquez aura une production réduite. Il ne fera pas école (contrairement à Rubens, son rival à la cour de Philippe IV) et son style s'éteindra avec la mort de son gendre Del Mazo.
Le goût pour la peinture espagnole n'apparaît en France qu'au XIXe siècle. Tout comme le Caravage et Goya, Velázquez aura une influence sur les peintres de ce siècle et des suivants. Pour Manet il était "le plus grand peintre qui n'ait jamais existé". Il suscitera l'admiration de Picasso qui exécutera cinquante huit variantes sur les "Ménines" , et de Bacon qui peindra une série de quarante cinq tableaux sur le portrait d'Innocent X.
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Il est possible, pour certains visiteurs, que la succession des nombreux portraits de Velázquez et de ses collaborateurs paraisse ennuyeuse. Est-ce cela qui aura rebuté le public ou l'absence des célèbres Ménines ? Je ne vais pas me plaindre, j'ai pu admirer en toute quiétude les portraits aux regards puissants, la douceur des visages d'enfants, la beauté de Vénus, Saint Paul et Saint Thomas dont j'ai eu du mal à m'éloigner, l "Allégorie féminine" , et la merveilleuse "Sainte Lucine". L'impressionnant dernier tableau, énorme cheval blanc qui se cabre, sellé mais dépourvu de cavalier, semble prêt à galoper vers la profondeur sombre du tableau, laissant derrière lui le génie Velázquez et le siècle d'or espagnol.
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1 - Luis de Congora y Argote - 1622 ; 2 - Portrait d'homme 1634 ; 3 - Juan Martinez Montanés 1635 ; 4 - Pablo de Valladolid 1635
L'immaculée Conception - 1618 1619 - 103x101,6cm - Natinal Gallery Londres et l'Education de la Vierge vers 1617-1618 - huile sur toile 168x136cm - Yale University New Haven
Bodegones/ Trois Musiciens - vers 1616-1617 - huile sur toile 87x110cm - Berlin et Le repas des paysans vers 1618 - 96x112cm Budapest musée des Beaux Arts
Le Christ chez Marthe et Marie - 1618 - huile sur toile - Londres et Le Repas à Emmaüs - vers 1617 huile sur toile 56,5x133,2cm - Dublin National Gallery
Allégorie féminine - vers 1645-1655 - huile sur toile 64x58cm, Dallas et Jeune paysanne vers 1650 - huile sur toile 60x46,5cm, New York
La toilette de Vénus (Vénus au miroir) - 1647-1651 huile sur toile 123x177cm Londres National Gallery
Saint Paul 1616-1619 - huile sur toile 99,5x80cm - huile sur toile - Barcelone Musée National et l'Apôtre saint Thomas - 1619-1620 - huile sur toile 94x73cm - Orléans Musée des Beaux Arts
Portrait de Philippe IV en chasseur - vers 1632/1634 huile sur toile 200x120cm - Castres musée Goya et Portrait de l'Infante Marguerite en bleu - vers 1650 - 127x107cm huile sur toile - Vienne
L'Infant Felipe Prospero - 1659, huile sur toile 128,5x99,5cm - Vienne et Sainte Rufine - 1617 huile sur bois 35x28,5cm collection particulière
Marie Thérèse infante d'Espagne - 1651-1654 - huile sur toile 34,3X40cm - Metropolitan New York - Remarquez les merveilleux papillons de soie dans les cheveux !
Les Ménines (las meninas - demoiselles d'honneur) - 1656 - 318x276cm - Musée du Prado. Le tableau devait être une affirmation de la continuité dynastique en la personne de l'infante Marguerite, mais la naissance d'un héritier mâle obligea Velazquez à modifier sa toile. Il élimina un personnage clé en peignant par -dessus son portrait devant sa toile
Petit voyage au cœur des Ménines
Les Ménines, fragile et précieux chef d'œuvre, ne voyage plus. Il est au Prado ce que la Joconde est au Louvre. Point de Ménines donc à la grande rétrospective Velázquez du Grand Palais, mai...
L’exposition présente évidemment de nombreuses toiles d’artistes que Velázquez a pu connaître, admirer ou influencer, beaucoup m'ont séduites mais j'ai volontairement choisi de ne présenter que des oeuvres du "peintre des peintres"
photos web - texte Michèle Pellevillain
Exposition au Grand Palais PARIS jusqu'au 13 juillet 2015
Nota
Après les encombrants groupes et les audio-guides , arrive un nouveau joujou : les lunettes ultralégères (l'audio-guide finissant par faire mal au bras !) " Google Glass" avec commentaires et plan de visite intégré pour un certain nombre d'œuvres… on peut même zoomer. Onze paires étaient à la disposition des visiteurs moyennant 8 euros (hors billet) et 300 euros de caution : "Si l’on se contente de regarder les 12 œuvres, la visite dure environ 1h. Nous avons pensé qu’une visite courte pourrait peut-être séduire un nouveau public , commente Agnès Alfandari. Ce qui est certain, c’est qu’on ressort avec le sentiment d’avoir vécu une expérience différente de tous les autres visiteurs". Je ne commenterai pas !