La Fondation Louis VUITTON expose jusqu'au 14 Janvier 2019, Egon SCHIELE et Jean Michel BASQUIAT.
Je n'ai tout d'abord pas compris le rapprochement entre ces deux artistes du XXe siècle (l'un au début, SCHIELE 1890/1918, l'autre à la fin, BASQUIAT 1960/1988). Ils évoluaient, pour moi, dans deux mondes bien différents et si j'ai une grande admiration pour Egon SCHIELE, dont les dessins me bouleversent, j'ai des difficultés à pénétrer dans l'univers de BASQUIAT.
Il m'a fallu voir cette remarquable double exposition pour comprendre que ces deux artistes étaient unis par la fulgurance de leur trajectoire, leurs liens avec deux grandes figures du XXe siècle, KLIMT pour SCHIELE, WARHOL pour BASQUIAT, et deux grandes villes en pleine effervescence, Vienne et New-York ; unis également par un destin qui les fit mourir vers 28 ans, au terme d'une vie chaotique et d'un engagement viscéral pour leur art.
Photos Michèle PELLEVILLAIN
Egon SCHIELE naît le 12 juin 1890. Son père est chef de gare, son grand-père était ingénieur des chemins de fer tout comme son oncle maternel Léopold Czihaczek. La famille demeure au-dessus de la gare de Tulln, petit village d'Autriche. Egon à deux soeurs, Mélanie et Gertrude.
Egon dessine très tôt (des trains et leurs wagons... ce qui semble normal !). Durant ses études il n'aime que le dessin, la calligraphie et l'éducation physique. Son père rêve d'un fils ingénieur des chemins de fer. Il ne connaîtra pas le choix d'Egon : il meurt de la syphilis en 1904. La famille se retrouve démunie mais l'oncle Léopold apporte son soutien et devient le tuteur d'Egon.
Au lycée, Egon est très marqué par son professeur de dessin qui lui fait connaître l'impressionnisme autrichien et le Jugendstil (version allemande de l'art nouveau) qui a tendance à fusionner la figure et le fond.
A 16 ans, en 1906, il entre à l'Académie des beaux-arts de Vienne, il est le plus jeune de sa classe. Deux ans plus tard il ne s'y rendra plus que pour trouver des modèles. Sa recherche porte sur un trait parfait et continu, précis et rapide.
En 1908, il rencontre KLIMT dont il admire le style qui combine des motifs géométriques décoratifs et le Jugendstil. L'année suivante KLIMT invite SCHIELE à une grande exposition. Les règles de l'Académie interdisant aux étudiants de participer à des expositions publiques, SCHIELE claque la porte de l'Institution.
Fin 1909, SCHIELE figure en bonne place à la galerie Pisko en tant que chef de file du collectif d'artistes le "Neukuntsgruppe". Le nu devient le thème dominant de ses aquarelles et de ses dessins. Ses modèles : Gertrude et les patientes du Docteur von Graff qui ne peuvent pas payer pour se faire soigner. C'est également une période d'autoportraits où il se montre laid et grimaçant, bien qu'il soit en réalité très beau.
SCHIELE aime aussi peindre les gamins des rues. Au printemps 1911, il prend pour modèle Wally NEUZIL, âgée de 17 ans avec laquelle il aura une liaison durant quatre ans. Avec elle il s'installe à Krumau puis à Neulengbach.
Ce concubinage affiché choque les habitants, mais pour eux sa faute la plus grave est la pose d'adolescents dans son atelier. L'une d'elles, Tatjana, à la suite d'une fugue, se réfugie chez Egon et Wally. Ils acceptent de la conduire chez sa grand'mère à Vienne, mais le père de Tatjana a déjà porté plainte. La charge pour viol et détournement de mineur sera abandonnée, mais SCHIELE sera condamné à 24 jours de prison pour immoralité. A sa sortie de prison il aura de grosses difficultés d'argent ; les collectionneurs et mécènes ont pris leur distance. Il voyage alors et en octobre 1912 il loue un atelier à Vienne sur la Hietzinger Hauptstrass qu'il conservera jusqu'à la fin de sa vie.
En 1914, SCHIELE a du mal à survivre et accumule les dettes. Pour résoudre son problème financier, il devient professeur de dessin et exécute des pointes sèches (les estampes à cette époque sont un marché lucratif), mais il abandonne vite : "Dans le temps qu'il me faut pour réaliser une plaque, je peux facilement créer cinquante ou soixante dessins, non, plus ! surement une centaine !". La guerre mondiale éclate, sa faiblesse cardiaque congénitale lui vaut un bref répit avant d'être mobilisé.
1915. Il épouse Edith HARMS malgré l'hostilité des parents envers son style de vie immoral et son manque de finances.
Son mariage marque un tournant dans son oeuvre : il exécute deux grandes toiles représentant des couples, "La jeune fille et la mort", et "Transfiguration", un double autoportrait.
SCHIELE commence son service militaire, Edith le suit, notamment en Bohème où grâce à ses études il est cantonné avec les élèves officiers. Il ne participe pas aux combats actifs mais creuse des tranchées, escorte les prisonniers dont il exécute des portraits, puis son écriture élégante lui permet de décrocher un emploi de bureau pour tenir les livres de compte du camp. Muté à Vienne en 1917, il peint beaucoup, le premier porte-folio de ses œuvres est publié ainsi que des cartes postales qui le font connaître.
1918 - L'empire Austro-Hongrais s'effondre, le pays connaît un profond désarroi économique et politique. Pourtant pour SCHIELE c'est une année qui commence bien : il a développé une clientèle pour ses portraits et ses dessins, il expose avec succès à la Sécession viennoise. Il obtient une mutation au musée de l'armée pour organiser des expositions. Ses revenus s'accroissent. Il a trouvé le trait parfait, il est capable de croquer ses sujets d'un seul trait ininterrompu.
Mais les conditions de vie sont épouvantables : son atelier est humide, il est difficile de se procurer les produits de base, la grippe espagnole est devenue épidémique. Edith, enceinte, contracte le virus , elle meurt le 28 octobre. Egon SCHIELE également atteint est recueilli par sa belle-mère et s'éteint le 31 Octobre.
Il laisse plusieurs centaines d'huile et près de trois mille dessins et aquarelles. Sa courte vie a marqué profondément le début du XXe siècle, annonçant la transition entre le symbolisme allégorique de KLIMT et l'expressionnisme.
BASQUIAT marquera lui la fin du XXe siècle. Il fera l'objet du prochain article
Cette exposition présente surtout de nombreux dessins, si vous ne pouvez vous y rendre, offrez vous ou faites vous offrir EGON SCHIELE - Dessins et aquarelles - Texte Jane KALLIR - Editions HAZAN.