J'ai une profonde admiration pour Cécile Reims. En décembre 2011 j'avais vu ses œuvres au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme à Paris, ainsi qu'en 2008 à la Halle Saint-Pierre où elle exposait aux côtés de son compagnon de vie Fred Deux, écrivain et dessinateur impressionnant.
Ces deux grands artistes ont passé leur vie ensemble, jusqu'au décès de Fred Deux, en septembre 2015. A la suite d'une chute dans les escaliers de leur maison de la Châtre, un traumatisme crânien avait fait vaciller sa mémoire, mais il continuait malgré tout à s'asseoir à sa table chaque jour, sa main suivant le cours de ses secrètes pensées.
La Châtre est un village près de Châteauroux, dans l'Indre. Cécile Reims et Fred Deux s'y sont installés en 1985.
Au château d'Ars (Musée George Sand et de la Vallée Noire) se tient jusqu'au 29 septembre 2019, une rétrospective de l'oeuvre et de la vie de Cécile Reims : "L'ombre portante", un très beau titre que je comprends de plusieurs façons. Durant huit années, Cécile Reims a réalisé, dans l'ombre, des gravures d'interprétation de dessins d'Hans Bellmer qui lui interdisait de graver, ni pour elle-même, ni pour aucun autre artiste. Il ne mentionnait pas le nom de Cécile Reims sur les estampes. Elle a également vécu plusieurs années dans l'ombre de Fred Deux, travaillant au tissage pour lui permettre de s'accomplir ; et le "Je est un autre" cité par Cécile Reims dans l'un de ses livres, ce "je" qui la tourmente ne serait-il pas également une ombre portante ?
Cécile Reims voit le jour en 1927 à Paris, sa mère ne survit pas à l'accouchement. Sa tante l'emmène en Lituanie chez ses grands-parents, dans le village de Kiberty, petite bourgade proche de la frontière allemande.
Elle revient chez son père, en France, à six ans. Elle ne s'exprime qu'en Allemand, entre à l'internat pour apprendre plus rapidement la langue. Enfant solitaire, elle dessine beaucoup.
En juin 1942, elle doit porter l'étoile jaune (elle l'a conservée) et échappe de peu à la rafle du Vel d'Hiv. En zone libre, elle rejoint l'OJC (l'Organisation Juive de Combat) et suit des cours au lycée d'Albi. Elle obtient son baccalauréat en 1944. Elle revient à Paris retrouver son père et sa tante, dont le mari, auquel elle était très attachée, a été déporté. Elle ne reprend pas ses études, suit des courts de dessin à la "Grande Chaumière", rencontre Joseph Hecht, graveur, dont elle devient l'unique élève. Elle grave "Usine désaffectée".
Lorsqu'elle apprend que toute sa famille a été, avec la population de Kiberty, massacrée par les troupes allemandes et que son oncle a été gazé dès son arrivée à Auschwitz, elle s'engage dans les rangs de l'armée clandestine sioniste.
En 1946, munie de faux papiers , elle quitte la France pour la Palestine. Elle vit solitaire, très pauvrement , dessine. Durant la guerre d'indépendance, Cécile Reims est appelée à servir dans l'armée. Les premiers signes de la tuberculose se manifestent. En 1948, alors que vient de se créer l'état d'Israël, elle rentre en France pour se faire soigner. Elle grave "Les saltimbanques", "Les Georgiques", "Le Canal de l'Ourcq", "La Seine". Elle part en Catalogne, grave les "Visages d'Espagne".
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En 1951, elle rencontre Fred Deux à la librairie de la Hune. Une rechute la contraint de partir de longs mois au sanatorium de Hauteville dans l'Ain. Fred lui écrit chaque jour.
Rétablie, mais non guérie, Cécile Reims revient à Paris et s'installe avec Fred Deux. Elle s'initie au tissage pour subvenir aux besoins matériels. Ils se marient en 1957. Tous deux de santé fragile, ils s'installent dans une ancienne ferme à Corcelles dans le Haut Bugey. Cécile Reims tisse et grave "Les Métamorphoses" et "Le Bestiaire de la mort". Puis ils achètent une maison à l'abandon, à Lacoux, "le bout du monde", que Fred restaure. (Ils créeront à Lacoux en 1971, un Centre d'Art Contemporain dans les locaux de l'ancienne Mairie-école. La première exposition sera consacrée à Max Ernst en 1972. La commune a transformé les locaux en 2001 pour en faire un véritable espace d'art).
Cécile Reims grave "Cosmogonies" puis se consacre uniquement au tissage qui assure leur existence. Elle vend sa production aux grandes maisons de couture Parisiennes. Elle écrit son premier roman "L'Epure" qui paraît en 1962.
Une rencontre avec Georges Visat, éditeur d'art, lui fait connaître Hans Bellmer. Sa collaboration durera jusqu'au décès de ce dernier en 1975.
En 1975, l'altitude devient préjudiciable à Cécile Reims, le couple s'installe dans le Berry, au Couzat.
C'est à partir de 1977 que Cécile Reims reprendra son travail de gravure personnelle avec la série "La Chenille".
En 1984, à la suite de la parution d'un article de Françoise Woimant, dans la revue "Les nouvelles de l'Estampe", son travail de graveur d'interprétation est enfin connu et reconnu. Cécile Reims a gravé pour Hans Bellmer environ 240 estampes, pour Léonor Fini près de 370, et pour Fred Deux 450.
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J'ai ressenti, une fois encore, au château d'Ars, cette profonde admiration pour Cécile Reims. Revenue de la Châtre avec ses livres, "Bagages perdus", "Peut-être", "Tout ça n'a pas d'importance", j'ai lu avidement ses mots, découvrant son passé douloureux, voyageant avec elle, m'immisçant dans ses maisons, partageant son quotidien avec Fred Deux, guettant les moments où je la retrouverais à sa table de travail, penchée sur ses plaques de cuivre ou sur ses pages d'écritures, émue par cette femme sincère et attachante. Au delà de mon admiration, et si dans la réalité un monde nous sépare, je me sens pourtant proche d'elle, l'identifiant à un membre de ma famille, une sœur aînée, une tante, à laquelle je pourrais dire sans pudeur que je l'aime.
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Fred Deux - Pour mémoire - Les Milç et les Remz - Deux familles lituaniennes disparues durant la guerre dont descend Cécile Reims - crayons - 1985/1986
Mes photos ne sont pas de très bonne qualité, les salles étaient assez sombres et la lumière jaunissait les œuvres. Il est dans ces conditions difficile de déceler la finesse des traits.