VICTOR HUGO – 1802 Besançon/ 1885 Paris
En 2002 se tenait à la Bibliothèque François Mitterrand une grande exposition « Victor Hugo l’homme océan ». Je découvrais alors ses dessins, une des facettes de ce génie poète, dramaturge, romancier, homme politique. Ce titre, que Victor Hugo avait inventé à l’occasion du jubilé de William Shakespeare pour désigner une lignée des génies qui ont fait les flux et les reflux de la pensée humaine, lui était réattribué : tout comme Shakespeare, seul l’océan était à la mesure de son œuvre.
On retrouve l’océan dans ses dessins avec des navires luttant contre le courant (Hugo compare sa destinée à celle d’un bateau dans la tourmente). L’énorme et belle vague à l’encre brune « Ma destinée » qui porte un navire pourrait avoir en sous-titre une phrase du discours que Victor Hugo fait « Aux marins de la Manche » : « et je fais mon devoir, pas plus ému de la haine que vous de l’écume ».
L’envoutement de Victor Hugo pour la mer ne cessera jamais, surtout durant son long exil à Jersey et Guernesey de 1852 à 1870, et au cours des années de la rédaction des « Travailleurs de la mer ». Il réalisera des dessins puissants et de nombreux petits croquis à la plume.
Son devoir, l’abolition de la peine de mort, le poursuivra toute sa vie. Une telle conviction n'était pas seulement de la pure raison. Il avait été marqué dans l’enfance, en 1812, lors de son retour d’Espagne en France, par la vision d’un homme terrorisé,lié sur un âne dos tourné vers la tête de l’animal, que l’on menait à l’échafaud. Adolescent, à Paris place du Palais de Justice, il avait vu le bourreau marquer au fer rouge une jeune fille condamnée pour vol domestique : « J’ai encore dans l’oreille, après plus de quarante ans, et j’aurai toujours dans l’âme le cri de la suppliciée. Pour moi c’était une voleuse, ce fut une martyre. Je sortis de là déterminé – j’avais seize ans - à combattre à jamais les mauvaises actions de la loi. »
De ces visions naît son sublime roman « Dernier jour d’un condamné », réquisitoire contre la peine de mort paru en 1829.
Son devoir, à la Chambre des pairs où il est entré en 1848, il intervient contre la peine de mort, dans le débat sur les prisons, sur la propriété des œuvres d’art, sur la défense du littoral, la pauvreté, le droit des enfants : « ne laissez pas exploiter les enfants par les hommes ».
En Mai 1851 son fils Charles, publie dans « L’évènement » un article abolitionniste à la suite de l’horrible exécution de Claude Montcharmont, braconnier condamné pour avoir tué un gendarme qui était à sa poursuite. Charles écope de six mois de prison malgré l’éloquence de Victor Hugo. Un mois plus tard une pétition circule dans Paris pour l’abolition de la peine de mort.
En 1854 Tapner, criminel guernesiais est exécuté. Hugo voyant que ses écrits ne font pas progresser son combat, revient à la charge avec quatre grands dessins de pendus.
Je retrouve, en ce mois de juillet, un grand dessin de pendu à la Maison de Victor Hugo, place des Vosges à Paris, pour l’exposition « Dans l’intimité d’un génie ». Le musée conserve sept cents feuilles parmi les quatre mille dessins laissés par Victor Hugo. Ces œuvres sont fascinantes et d’une grande modernité, certains dessins deviennent abstraits lorsque Victor Hugo utilise les taches, les projections d’encre ou les coulures. L’exposition en comporte cent vingt des périodes différentes de la vie de l’artiste inspiré par les personnes qui l’entourait, on retrouve aussi sa complicité avec Juliette Drouet chez qui il réalisa ses plus grands dessins en 1850 et qui fut souvent la première spectatrice.
Victor Hugo peint avec des lavis d’encre brune parfois très diluée qu’il associe à des traits de plume. Il ajoute des rehauts de gouache et de craie blanche, mais aussi de pigments, de crayon lithographique ; il utilise des grattoirs et des écrans solubles, ce qui aboutit à une superbe matière.
Ses sujets sont habités par le rêve. Ruines, villes désertes, châteaux forts (burgs), sont des visions vaporeuses surgies de la dilution de l’encre. C’est l’âme d’un poète qui s’exprime et sa main trace aussi merveilleusement les mots que les taches brunes. Victor Hugo visionnaire, sa longue lutte pour l’abolition de la peine de mort n’aura gain de cause qu’en 1981. Peut-être également visionnaire en dessinant en 1850 le champignon énorme qui fit dire à Juliette Drouet : « Je finis de faire sécher au soleil ton terrible champignon qui fait frémir rien qu’en le regardant ». Il me fait frémir également, démesuré par rapport au paysage il ressemble à une explosion atomique.
L’exposition présente quelques carnets de dessins. C’est une pratique très en vogue à l’époque, Victor Hugo prend l’habitude de tenir des carnets dès 1821. Ses dessins de voyage, exécutés sur le motif à la mine de plomb ou à la plume, accompagnent également ses lettres et ses manuscrits. Ils sont fidèles à ce que voit Hugo et ne laissent pas de place à la subjectivité du poète.
Une salle est consacrée au « Poème de la Sorcière », ensemble de dessins caricaturaux qui a pour thème un procès de sorcière et constitue une charge contre les juges et les inquisiteurs. D’un trait vif Victor Hugo trace le portrait des juges, badauds, bourreaux, sorcières et démons, gens de foule qui assistent au supplice. Une autre facette de l’écrivain mais toujours dans le combat pour la justice et les valeurs humanistes.
"Le hasard a fait tomber sous vos yeux quelques espèces d'essais de dessins faits par moi, à des heures de rêverie presque inconsciente, avec ce qui restait d'encre dans ma plume, sur des marges ou des couvertures de manuscrits(...) je crains fort que ces traits de plume quelconques, jetés plus ou moins maladroitement sur le papier par un bonhomme qui a tout autre chose à faire, ne cessent d'être des dessins du moment qu'ils auront la prétention d'en être"
Victor Hugo à l'éditeur Castel, 8 octobre 1882 - Actes et paroles, II Pendant l'exil, 1875
Une magnifique exposition à ne pas manquer. Jusqu’au 21 Novembre 2021
Port de la Manche - Plume et lavis d'encre brune, crayon graphite sur papier Velin - 1855 - Texte : A mon cher et bon Célestin Nanteuil, souvenir de nos promenades d'autrefois. Marine Terrace 19 août 1855 évocation d'un voyage de 1836
La Vieille ville - avant 1844 - Plume et encre brune sur papier calque. Dessin report pour la gravure d'Edmond Hedouin. Hugo a toujours insisté pour que ses dessins ne soient pas reportés d'une façon inversée.
Le phare d'Eddystone - 1866 - Plume, pinceau, barbes de plume, encre brune et sépia sur papier vélin
Burg dans l'orage - 1857 - Plume, pinceau, barbes de plumes, encre brune et lavis, fusain, rehauts de gouache blanche, utilisation de pochoir
Fravenfeld - 1869 - Encre brune, lais sur papier. Dessin réalisé lors d'un voyage dans le canton suisse de Thurgovie
Mythen - 1855 - Suisse - Plume et lavis d'encre brune, crayon graphite, encre noire, fusain, pierre noire sur vélin. Quelques notations sur place et dessin réalisé à Jersey. Apparition mystique transfigurée par le souvenir. Dans le même temps Hugo écrit "Les montagnes des intéressements" publié dans la Légende des siècles.
Souvenir d'Espagne 1850 - Plume, lavis d'encre brune, encre noire, crayon graphite, fusain, gouache, encre dorée, parties frottées sur papier vélin
Souvenir de forêt noire - 1850 - Peut-être évocation du flottage de bois décrit dans "Le Rhin" Plume lavis d'encre brune, crayon graphite, fusain, gouache, parties grattées sur papier vélin
Les deux compositions qui suivent n'en formaient qu'une à l'origine, Victor Hugo les scinde en deux formant une sorte de dyptique, Hic clavis a été réduite en hauteur.
Non liber monet, non gladivs servat - (Le livre n'enseigne pas, le glaive ne protège pas).
Cette représentation de saint Paul a peut-être été inspirée à Victor Hugo par la statue de l'église St Paul paroisse de la famille Hugo, c'est dans cette église que s'est mariée sa fille Léopoldine, et c'est sans doute en souvenir de Léopoldine que Victor Hugo a offert les deux grandes coquilles bénitiers que l'on peut encore voir aujourd'hui.
Non Liber - Plume, encre brune et noire et lavis, crayon de graphite, fusain, gouache, zones frottées, réserves sur papier à grain
Hic clavis alias porta - (Ici la clef ailleurs la porte)
Plume pinceau, encre brune et lavis, lavis d'encre noire, crayon de graphite, crayon gras, fusain, rehauts de gouache blanche, zones frottées, réserves sur papier beige
Champignon 1850 - Plume, pinceau, encre brune et lavis, fusain, crayon gras, rehauts gouache verte rouge blanche, frottages, grattages, réserves, utilisation d'un pochoir
Caricatures
Le Burg à la croix - 1850 et 1871 le cadre
Crayon de graphite, plume, pinceau, encres brune et noire et lavis, fusain, rehauts de gouache blanche, rehauts d'or, zones frottées, réserves, utilisation de pochoirs sur papier beige collé sur une toile tendue sur châssis.
Cadre, gravé, peint et doré par Victor Hugo, décoré d'oiseaux, d'insectes et de fleurs et portant sur le montant droit "SPES" et en bas à droite "Victor Hugo à Paul Meurice"
C'est la plus grande œuvre en dimension de Victor Hugo, elle a été réalisée chez Juliette Drouet, elle est liée à la visite de Cologne et à l'apparition dans la brume du soir de la cathédrale. La croix surdimensionnée est celle que le poète en exil avait sur le mur de sa chambre à Hauteville House. Après le départ en exil, l'oeuvre avait été acquise par Paul Meurice, au retour de Victor Hugo, Meurice avait voulu lui rendre. Victor Hugo avait décliné l'offre et l'avait ornée de ce somptueux cadre.
Toutes les photos MP hormis "Burg à la croix" Akg image