Nous sommes à Florence en 1612.
Cosme II de Médicis règne sur le grand-duché de Toscane depuis 1609. Il a 22 ans, il est miné par la tuberculose et s'appuie sur son premier ministre pour gouverner. Il a épousé en 1608 Marie Madeleine d'Autriche.
Jacques Callot a 20 ans, il a quitté Rome pour Florence. Il entre dans l'atelier de Giulio Parigi (graveur et architecte, ayant en particulier aménagé les jardins de Boboli).
Le Grand-duc a commandé à Antonio Tempesta la réalisation de 29 estampes pour "la pompe funèbre" de sa belle soeur, Marguerite d'Autriche, Reine d'Espagne, morte en 1611 (on entend par "la pompe funèbre" une série d'estampes sur la vie de la Reine). Surchargé de commandes Tempesta confie à Callot 15 gravures (quelques-unes aussi à Raphaelo Schiaminossi).
Callot, buriniste, découvre l'eau forte qui se pratique sur un vernis tendre et poisseux difficile à manipuler ; par contre cette technique, au contraire du burin, donne liberté et rapidité et séduit immédiatement le graveur. Un inconvénient toutefois : elle ne permet pas de faire des traits fins.
En 1614, le talent de Callot est reconnu officiellement, il est admiré, le Grand-duc le pensionne. Callot s'installe au Palais des Offices et fréquente la cour où tout est prétexte à fêtes et réjouissances.
En 1617, un orfèvre lui commande deux toutes petites gravures sur argent (6x5cm). Il doit pour exécuter le dessin particulièrement fin se servir du vernis dur utilisé en orfèvrerie.
Fort de cette expérience, Callot va mettre au point un vernis, variante de celui qu'employaient les luthiers, séchant et durcissant rapidement qui va l'autoriser à faire des traits d'une finesse encore jamais égalée. Il aura tout le temps qu'il désire pour travailler et ne sera pas contraint de tremper tout de suite la plaque dans l'eau forte. Callot va pouvoir dessiner avec précisions les multitudes de petits personnages qui lui sont si particuliers (un exemple impressionnant "la Foire d'Impruneta" gravée en 1620, qui comporte plus de 1000 personnages).
Puis d'une façon toute personnelle il utilise une échoppe couchée (échoppe des orfèvres) au lieu de la pointe pour pouvoir réaliser un trait créant des pleins et des déliés. Il abandonne les hachures traditionnelles pour rendre les zones sombres et utilise des lignes parallèles sans les croiser avec d'autres.
Les précisions techniques ci-dessus sont un peu une redite, elles me paraissent très importantes pour comprendre l'impact qu'a eu Jacques Callot sur l'évolution de l'eau-forte et l'influence qu'il a exercé sur de grands graveurs comme Abraham Bosse, Rembrandt, ou Van Dyck.
Après divers essais de sa méthode, Callot dédie au prince Laurent de Médicis, frère du Grand-duc de Florence, une suite de 50 petites eaux fortes, les Cappricci di Varie Figure (Les caprices - 1620-1621).
Mais revenons à la cour du Grand-duc.
Callot y fait la rencontre des Gobbi, nains bossus, sortes de bouffons, qui dansent et gesticulent pour distraire la cour. Lorsqu'ils ne sont pas assez en verve on les fait boire pour les mettre en train. Les Gobbi amusent sans doute beaucoup Callot, il en fait de nombreux croquis et dessins (les études et préparations pour ses gravures sont d'ailleurs peu connues du grand public mais le placent parmi les plus grands maîtres).
Il côtoie aussi les Zanni , comédiens et comiques masqués qui jouent aussi bien à la cour que sur les places publiques. Il note leurs grimaces, leurs contorsions, le détail de leurs costumes.
Zanni - Scapin personnage typique de la Commedia dell'arte
En 1621, à la mort du Grand-duc, Callot rentre à Nancy. "C'est l'evêque de Toul, Monseigneur Jean des Porcellets qui va ramener Callot à Nancy, où la cour l'accueillera assez mal. Dans un premier temps, Callot est réduit pour vivre à répéter des planches précédemment publiées à Florence (les Caprices, l'Impruneta) et à graver les dessins qu'il avait rapportés en grand nombre d'Italie" (la revue Lorraine Fev.1992)
Ainsi naissent la série des Balli di Sfessania (du nom d'une danse populaire). 24 estampes de 10x7cm.
puis celle des Gobbi (21 estampes d'environ 9x6cm) qui auront un grand succès.
Bien qu'ayant vécu près de la noblesse, Callot aura toujours un regard tourné vers la misère. Il réalise la série des Gueux (25 estampes d'environ 14x19cm).
Les gravures des Gobbi, des Balli et des Gueux peuvent paraître mineures au regard de l'oeuvre considérable de Jacques Callot traitant la religion, les paysages et villes lorrains, la guerre. En ce qui me concerne ce sont mes gravures préférées. Callot s'y montre profondément humain avec une vision à la fois compatissante et critique de ses contemporains.
Dans les Gobbi son sens de l'humour et de la caricature me réjouit et son trait de graveur tout en pleins et déliés est inégalable et inégalé.
Ci dessous vidéo de la série des Gobbi.
Si vous souhaitez voir la vidéo en plus grand et avec son, cliquez : link
Je dois d'avoir pu scanner les estampes des Gobbi à l'aimable autorisation de Denise Bloch qui préface ainsi son coffret édité par Association d'idées : "Pour apporter notre modeste pierre à ce bel édifice "Renaissance" mis en chantier par la ville de Nancy, nous avons tenu à rendre hommage à Jacques Callot, illustre représentant du maniérisme tardif. Nous vous proposons l'intégralité des reproductions des estampes "Les Gobbi" d'après la série complète conservée au Musée Lorrain de Nancy et numérotée de 1 à 21. Nos copies ont été améliorées au niveau de la netteté du trait de gravure et légèrement agrandies par rapport aux originaux. Ces petites figures imaginées par Callot pour signifier les misères et les ridicules humains, sont imprimées en quadrichromie pour traduire de manière fidèle l'aspect de l'eau forte, sur un papier format 21cmX29,7 cm pour convenir à une éventuelle mise sous verre. Elles sont réunies dans un coffret cartonné dont la page titre : "Jacques Callot, Les Gobbi" est rehaussée d'une belle typographie sérigraphiée en 3 couleurs. Ce portfolio a été labellisé "Renaissance" par la mission Renaissance Nancy 2013. http://www.editionszoom.com