15 Mai 2014.
C'est une belle matinée. Les riches décorations du pont Alexandre III, construit pour l'exposition universelle de 1900, étincellent. J'aime Paris, j'y suis à la fois chez moi et en vacances. En touriste récidiviste je fais quelques photos du pont, symbole de l'amitié franco-russe. Je le traverse pour aller au Grand-Palais où, justement, un couple d'artistes russes, Ilya et Emilia Kabakov, ont érigé leur "Etrange cité".
MONUMENTA : pour sa sixième édition le titre n'est pas trompeur, l'installation des Kabakov est grandiose.
Dès l'entrée on se heurte aux hauts murs blancs encerclant la cité utopique que la verrière du Grand Palais inonde d'une merveilleuse lumière. Une grande coupole dirigée vers la cité évoque une rosace d'église. Elle change de couleur au rythme de la musique (Alexandre Scriabine considérait que la musique et la lumière sont étroitement liées).
Un petit arc de triomphe précède l'entrée de la cité. A l'intérieur de l'enceinte circulaire, cinq édifices abritent des installations où se mêlent symbolique, mystère, philosophie, spirituel, mais sans doute aussi une pointe d'humour. Puis hors des murs circulaires, pour terminer la déambulation, s'élèvent la "Chapelle blanche" et son négatif la "Chapelle sombre", toutes deux très impressionnantes.
LES CINQ ESPACES DE L'ENCEINTE CIRCULAIRE
Le musée vide
Dans la salle aux murs rouge foncé, les tableaux sont représentés par des taches de lumière. Au centre de la pièce, les divans confortables invitent à la méditation. La "Passacaille" pour orgue de Bach résonne. La musique remplace-t-elle les tableaux ? Quelle réflexion sur l'art peut-on en tirer ? En ce qui me concerne ce vide me comble.
Manas
On trouve dans cet expace la maquette d'une ville utopique entourée de 8 montagnes qui, de leurs sommets, permettent de communiquer avec d'autres mondes. Au coeur de la ville, un cratère est rempli d'eau. Une ville identique inversée est suspendue au plafond, son cratère céleste diffuse une lumière vive qui arrive dans le cratère de la ville terrestre.
détail d'un sommet de montagne
Le centre de l'énergie cosmique
Il est extrêmement difficile d'expliquer cette maquette censée être un ensemble de bâtiments permettant de capter l'énergie du cosmos. Je n'ai pu qu'admirer l'étrangeté de la construction et rêver devant les dessins précis d'architecture qui l'accompagne.
Plus à ma portée, Comment rencontrer un ange :
Maquette où un petit personnage a quitté son village, en jogging et sac à dos, pour gravir une immense échelle. Tout en haut il tend les bras vers l'ange. Plus qu'une figure de la religion, l'ange, très présent dans l'oeuvre des Kabakov, est une allégorie de l'aspiration au bonheur et à la sagesse. Kabakov donne d'ailleurs la recette du "comment changer", comment devenir meilleur. Il présente un modèle nous permettant de fabriquer deux ailes blanches en tulle et leurs attaches en cuir. Il suffit de s'isoler dans sa chambre, de mettre les ailes, de s'asseoir sans rien faire et en silence durant 10 minutes, puis reprendre ses occupations habituelles pendant deux heures mais sans quitter la chambre. Répeter ensuite la pause. En pratiquant cela durant deux ou trois semaines, l'effet des ailes blanches va se manifester. Les ailes doivent être rangées dans un coffret souple et mis sous clé dans une armoire à glace.
A noter que sur ce dessin l'échelle part du Grand Palais
Les portails
"Ils échappent au regard,
Comme si ils permettaient de sortir
mais pas d'entrer,
On ne les voit jamais enfants,
Mais ils finissent par apparaître, rarement
d'abord, puis de plus en plus souvent,
Le temps passe et les voilà, immobiles,
Ne quittant pas la ligne droite de l'horizon,
Impossible de connaître leur taille,
Mais le plus étrange est qu'ils ne percent
aucun mur
Et qu'aucun battant n'occupe leur cadre"
Un portail central ouvert marque le passage de la vie à l'au-delà. Quatre triptyques l'entoure représentant le même paysage peint à différents moments de la journée et de la nuit. Des vers sont inscrits sous chacun d'eux.
LA CHAPELLE BLANCHE
Comment ne pas être frappé par la dimension et par les murs blancs ponctués de peintures, fragments dispersés d'une fresque effacée par le temps ou petits instants sauvés d'une mémoire qui s'efface. Une tache sombre où l'on aperçoit trois visages rappelle l'Enfer des églises catholiques.
LA CHAPELLE SOMBRE
Les murs sont recouverts du sol au plafond par deux triptyques. On pense à Rembrandt et à la peinture baroque des XVI et XVIIe siècle. Les tableaux, inversés, sont autobiographiques, combinant un trou noir central, des images soviétiques stéréotypées, et les souvenirs de la remise à Ilya Kabakov du prix impérial à Tokyo. Les taches blanches représentent les chiffons qui servent à nettoyer les pinceaux.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette exposition, chaque espace fait l'objet d'explications complexes difficiles à résumer, les dessins et les maquettes sont nombreux. Il faut parcourir réellement la cité pour ressentir une émotion, mes photos ne peuvent donner qu'une idée visuelle où le sensoriel n'a pas sa place. Je suis ressortie du Grand Palais enthousiasmée. J'y retournerai.
A voir et à revoir jusqu'au 22 juin.
Vous pouvez retrouver dans les articles de voir-ou-revoir les "Monumenta" de Christian Boltanski et de Daniel Buren