Lorsque la Beauce est sur le parcours d'un voyage, comment résister à la tentation de faire une escale à Chartres. Se retrouver, même un bref instant, dans la cathédrale, est un moment privilégié de sérénité et de recueillement.
Notre Dame de Chartres, cathédrale gothique construite au début du XIIIe siècle (pour la majeure partie en trente ans), sur les ruines d'une cathédrale romane détruite lors d'un incendie en 1194, est la mieux conservée de son époque pour ses sculptures, son dallage exceptionnel, notamment le labyrinthe, et ses vitraux exaltant le "bleu de Chartres".
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La cathédrale possède 176 verrières datant des XIIe et XIIIe. Le bleu clair, dit "bleu de Chartres" est obtenu au moyen du bleu de cobalt et laisse passer la lumière de façon étonnante. Le vitrail de "Notre Dame de la Belle Verrière", qui a miraculeusement échappé à l'incendie (première moitié du 12e siècle), est le plus célèbre de la cathédrale.
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Voir un site excellent pour scruter en détail les vitraux de Chartres qu'il est difficile de voir à l'œil nu :
http://www.cathedrale-chartres.org/vitraux-cathedrale-chartres.php?id=2
La cathédrale de Chartres est la seule à avoir conservé son labyrinthe. Auxerre, Sens, Reims et Arras en comportaient de comparables qui ont été détruits respectivement en 1690, 1768, 1778, 1795. En 1826 le labyrinthe d'Amiens subissait le même sort mais était rétabli en 1894. Une probable raison de la destruction : les gens qui déambulaient dans les labyrinthes perturbaient les offices. Le labyrinthe de Chartres est le plus grand, son diamètre atteint presque treize mètres.
C' est un long chemin sur une surface réduite, dans lequel, contrairement au labyrinthe de Dédale, on ne peut pas se perdre. Il n'y a aucun piège, il faut seulement de la persévérance pour atteindre le centre, qui pour le monde gréco-romain représentait la mort, l'entrée étant la naissance et le parcours la vie. Pour le christianisme c'est l'Eglise qui détient le fil d'Ariane qui permet d'accéder au ciel et à la vie éternelle.
L'autre intérêt de cette escale à Chartres était la manifestation "Portes ouvertes" des ateliers des maîtres verriers de Chartres et d'Eure-et-Loir. J'ai visité les ateliers Lorin-Hermet-Juteau, qui se trouve au pied de la cathédrale, sur les bords de l’Eure, dans l'ancien quartier médiéval. Après une agréable promenade au bord de la rivière, le portail franchi, on découvre un jardin charmant et une bâtisse de caractère.
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Cet atelier, le plus ancien de la région, a été fondé en 1869 par Nicolas Lorin sur l'emplacement d'une ancienne tannerie. Trois générations se sont donc succédé, Charles puis François jusqu'en 1972. A l'époque de l'Exposition Universelle de 1878, la Maison Lorin employait 53 personnes, exécutant de nombreux vitraux en France comme à l'étranger.
Les locaux qui possèdent encore des équipements de la fin du 19e siècle ont été inscrits au patrimoine des "Monuments historiques" en 1999.
En 1972, Gérard Hermet, Jacques et Mireille Juteau tous trois maîtres verriers et diplômés de l'école nationale supérieure des métiers d'Art , achetèrent l'entreprise. Depuis le décès de Jacques Juteau, en 1988, Gérard Hermet et Mireille Juteau continuent de faire vivre l'atelier avec leur équipe de compagnons.
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Les ateliers restaurent aussi bien des vitraux médiévaux que des vitraux du XIXe siècle. Leur a été confiée notamment la restauration des vitraux prestigieux de Chartres, de Tours, de Bourges et de Rouen. Gérard Hermet et Mireille Juteau ont également leurs propres créations et ont travaillé avec des artistes tels Alfred Manessier, Philippe Lejeune ou Jean Pierre Raynaud.
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Actuellement les ateliers travaillent sur les vitraux de la cathédrale Saint Maclou de Pontoise, ces trésors de la Renaissance étaient altérés par la pollution et la condensation de l'eau. Les vitraux ont été déposés panneau par panneau, les baies ont été numérotées et conditionnées pour être transportées à Chartres. Certains panneaux ont déjà été réinstallés dans la cathédrale (voir vidéo ci-dessous), d'autres sont encore dans les ateliers. On peut donc voir de très près les couleurs éclatantes, les détails des visages, la peinture en grisaille, remarquer aussi les restaurations précédentes, pas toujours heureuses, que les maitres verriers s'appliquent à refaire.
J'ai été séduite par le très beau dessin de Charles Crauk (1819-1905), peintre néoclassique. Ce précieux carton, conservé par l'atelier et exposé au mur, est celui d'un vitrail de l'église Saint Hilaire de Ladon (près de Montargis dans le Loiret) : "Le soir du combat, les habitants de Ladon secourent les soldats blessés".
Dans l'église de Ladon, un deuxième vitrail évoque également ce combat qui eût lieu le 24 novembre 1870, lors de la guerre franco-allemande. Son sujet : "1430 soldats français défendant Ladon contre 8000 allemands". Tous deux sont signées et datées "C.Lorin, Chartres 1894". Charles Lorin expose le second vitrail lors de l'exposition des « Arts appliqués à l'industrie » à la salle des fêtes d'Orléans en mai 1894.(voir "Journal du Loiret" du 24 mai 1894 ci-contre)
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C'était une passionnante visite. J'ai beaucoup apprécié pouvoir communiquer avec les maîtres verriers et j'ai été sensible, comme les très nombreux visiteurs, à la chaleur de leur accueil.
Avant de quitter Chartres, je suis allée revoir le Centre International du Vitrail qui occupe l'ancienne grange aux dimes ( 2e et 13e siècles) édifiée par les chanoines de la cathédrale. On peut y admirer une collection permanente de vitraux de la Renaissance en provenance d'édifices de Chartres disparus au cours de l'histoire, et actuellement une exposition temporaire de vitraux contemporains.
UN APERCU DE LA TECHNIQUE DE BASE DU VITRAIL
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La technique du vitrail est très ancienne et maitrisée depuis le XIIe siècle. A cette époque on commence à utiliser les tiges de plomb pour enchâsser les morceaux de verre à la place du châssis en bois. Quelques améliorations au XVIe : le diamant remplace la tige chauffée au rouge. De nos jours la cuisson est simplifiée par l'emploi de fours électriques.
La maquette : elle est à l'échelle 1/10e, indiquant le tracé général des plombs, la place de l'armature métallique qui maintient les différents panneaux, les taches de couleur, le détail des personnages, décoration, etc.
Le carton : c'est l'agrandissement de la maquette sans indication de couleur et précisant le réseau de plomb.
Le calque : permet de relever par transparence le dessin des lignes du carton, il déterminera la découpe des morceaux de verre. Les différents éléments sont numérotés
Le calibre : le calque est reporté sur un papier fort (ainsi que les numéros) qui est ensuite découpé soit à la lame si le dessin est géométrique, soit au ciseaux à trois lames permettant d’enlever une bande de papier dont la largeur est égale à l'épaisseur de l'âme du plomb.
La coupe du verre : il est coupé en fonction du calibre au moyen d'un diamant. On utilise un petit marteau (marteline) pour détacher le morceau en frappant sur la face opposé à la coupe à l'endroit du trait du diamant. Les imperfections sont corrigés avec une pince plate ou grugeoire, les arêtes vives sont polies afin d'éviter les coupures.
Les verres sont teintés ou blancs. La palette de couleur est étendue, les teintes se font le plus souvent dans la masse à l'aide d'oxydes métalliques, mais il existe d'autres techniques.
Chaque morceau est placé sur le calque pour suivre la progression du travail.
La peinture : Elle est appelée "grisaille". C'est un oxyde de cuivre finement broyé, selon les techniques délayé à l'eau, au vinaigre ou à la térébenthine. On y ajoute une petite quantité de gomme arabique ou d'essence grasse pour l'adhésion au verre. Il existe plusieurs couleurs de grisaille. Pour donner la teinte de la chair on applique sur le verso du verre un jaune d'argent ou un jaune orangé
Les plaques peintes doivent être cuites dans un four à une température de 630°. On compte 4 à 5 heures pour obtenir le degré voulu. Il faut ensuite attendre 24 h. avant de défourner pour éviter un refroidissement brutal qui casserait les plaques.
Le sertissage : chaque pièce est encastrée dans les baguettes de plomb, lorsque tous les plombs sont assemblés ils sont solidarisés en faisant fondre un peu d'étain à chaque intersection.
Pour des raisons de solidité la surface d'un panneau de vitrail n'excède jamais 1m2. Au-delà de cette surface le vitrail est divisé au moyen de tiges métalliques (barbotières, pannetons et feuillards).