Le 25 Février 1970, dans son atelier de la 69e rue, Rothko, séparé de sa femme Mell, malade (un anévrisme de l'aorte) mais n'ayant renoncé ni au tabac ni à l'alcool, absorbe une dose importante de neuroleptique puis se tranche les veines. "L'œuvre une fois accomplie, retire-toi" dit Tao.
Marcus Rothkowitz est né le 25 Septembre 1903 à Dvinsk (désormais Daugavpils en Lettonie), où son père est pharmacien. Dvinsk est une jolie ville aux maisons en bois peintes en couleurs. En 1913 face aux persécutions, la famille migre vers le nouveau monde. D'abord le père avec les deux aînés, puis Marcus avec sa sœur et sa mère. Douze jours de mer pour arriver à Ellis Island et d'autres de terre pour aller jusqu'à Portland dans le Maine. Pour un enfant de dix ans c'est une rupture qui ne peut que marquer sa vie, il emporte avec lui son éducation talmudique et les souvenirs des violences antisémites. A peine arrivé son père décède.
Rothko fait ses études à la Lincoln Hight School à Portland puis à l'université de Yale, s'intéresse à la philosophie, aux mythes, enseigne la peinture aux enfants.
En 1932, il se marie à Edith Sachar, depuis les années 30 il est en pleine crise de création, il cherche à concilier plénitude et effacement. La religiosité est en lui, non dans le sens pratiquant d'un culte, mais pour "regarder au delà du cadre visible, dépasser les limites de la matérialité". Il délaisse la peinture pour écrire un livre "La réalité de l'artiste".
Divorcé d'Edith, en 1945, il rencontre Mell (Mary Alice Beistle) qui soutient ses recherches picturales. Dans ses tableaux les figurent s'effacent, le fond prédomine. Sa mère meurt en 1948 et c'est vers la fin de cette année que Rothko commence à peintre ses rectangles de couleurs. Vient la reconnaissance.
En 1950 il voyage en Europe avec Mell, Londres, Florence où il est admiratif devant les peintures murales de Fra Angelico au cloître de San Marco.
Les expositions se succèdent, ses peintures commencent à valoir une petite fortune, mais ses amitiés d'artistes s'effritent. Le succès créait des jalousies... et la solitude.
En 1958 il reçoit une commande pour un restaurant de haut de gamme le "Four Seasons" à l'intérieur d'un building flambant neuf New-Yorkais, la "Tour Seagram". D'abord enthousiaste il peint une série de panneaux dans les tons rouge, marron et noir. Après un nouveau voyage à Florence, il se demande si ce projet est bon. En rentrant il déjeune au Four Seasons et trouve le lieu trop agité, bruyant, la fréquentation huppée ne lui convient pas. Il restitue l'argent et garde ses œuvres ce qui donnera de lui l'image d'un artiste intraitable. (Les "Seagrams" deviendront des reliques sacrées réparties entre la Tate Galery de Londres, le Kawamura Memorial Museum au japon, et la National Gallery de Washington)
Une rétrospective de ses œuvres se tient au Moma en 1961.
En 1964, M. et Mme de Menil chargent Rothko de créer un espace de méditation orné de peinture. Philipp Johnson est chargé des plans d'un bâtiment octogonal dans l'université de Saint Thomas à Houston. L'entente s'avère difficile entre l'architecte et le peintre, Philipp Johnson se retire du projet et Rothko est seul maître. Le projet se fera hors du campus. Rothko conçoit 14 panneaux, dont trois triptyques et y travaille de 1964 à 1967 avec une pause pour un troisième voyage en Europe.
Les panneaux sont de couleur noir ou culmine du violet, ses noirs sont un appel à l'inconnu. C'est la composition de sa peinture faites de pigments secs, de polymère de synthèse, colle de peau de lapin, émulsion huile et œuf, qui donne à la matière colorée qu'on a devant les yeux sa trouble consistance.
La chapelle Houston est son sanctuaire, il n'en verra pas l'inauguration, il meurt un an avant, tout comme Monet mourra un an avant l'inauguration des Nymphéas de l'Orangerie.
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La première fois que j'ai vu de près des toiles de Rothko c'était au Musée Américain de Giverny l'été 2022. Dans deux salles semi-obscures, six toiles de Rothko faisaient face à six toiles de Monet. Cette exposition n'intéressait pas ce jour là la foule, qui en longue file attendait de visiter les jardins de Giverny. Nous étions donc seule, une amie et moi, dans le silence, éblouies par la lumière mystique que diffusaient les toiles de Rothko. J'ai eu ce jour là une émotion forte que je n'ai pas retrouvée à la Fondation Vuitton devant tant d'œuvres accumulées et tant de monde.