En ce jour de Juillet la chaleur est presque insupportable. Il faut un certain courage pour arpenter la "Cité Idéale" du Cardinal de Richelieu, mais c'est une visite à ne pas manquer et il est stimulant de penser qu'après avoir traversé la ville, on trouvera la fraîcheur des grands arbres de son parc
Armand Jean du Plessis (1585-1642) passe une partie de son enfance dans le château de ses ancêtres, au carrefour de la Touraine et de l'Anjou, en un lieu nommé Richeloc.
D’abord destiné aux armes, il devient évêque de Luçon (1607), cardinal (1623), enfin en 1624 le principal ministre de Louis XIII.
La demeure de ses ancêtres ne correspond plus alors à sa position. Il entreprend de fonder une "cité idéale", grandiose et unique, sur un terrain vierge et marécageux où ne s'élèvent que quelques petits hameaux.
Les travaux commencent dès 1631, ils sont confiés à Jacques Lemercier (1585-1654), architecte, ingénieur et graveur. Ils sont menés bon train. Une grande rue traverse la ville et dessert 28 hôtels particuliers tous identiques et destinés à des notables. A chaque extrémité deux places d'égale importance : la place Cardinale (de nos jours la place du Marché), proche du château, et la place Royale (devenue la place des Religieuses). Les maisons qui entourent la grande rue affirment certes une grande unité de construction, mais leur taille traduit une hiérarchie sociale.
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Le Cardinal incite la population à venir habiter sa ville. Il offre privilèges, concessions de terrains à bâtir et fait organiser des foires et des marchés. Parallèlement à la création de la cité, Richelieu fait agrandir le château. Les travaux commencés en 1630 seront presque terminés en 1640.
A la mort du Cardinal, la haute société quitte la ville. Le château sera racheté bien plus tard (1805) par Alexandre Brouton qui, pendant près de quarante ans, le dépèce pierre par pierre. Le parc a été morcelé mais les canaux subsistent ainsi que deux grottes l'une était occupée par la cave du château, l'autre par l'orangerie.
Si le château n'est connu que par les plans et gravures, la ville elle-même est restée presque telle qu'elle était au XVIIe siècle, avec son église et ses halles. Elle constitue un exemple unique de l'urbanisme de l'époque.
La quête de la cité idéale remonte à l'antiquité. Elle symbolise, par sa topologie et ses aménagements, la plupart du temps, l'aspiration à une société plus démocratique, plus juste et plus libre. L'organisation sociale et urbaine de la cité est au cœur des réflexions des philosophes grecs. Platon (427 à 348 av. J.-C.) dans "La République" décrit une civilisation athénienne idéale, située dans un passé imaginaire.
Pour Aristote, Milet (une des plus anciennes cités d'Ionie, Ve siècle av. JC) représente la cité idéale pour l'organisation de son espace urbain qui rejoint les préoccupations des philosophes. On retrouve le tracé géométrique de Milet à Turin au Xe siècle.
Maquette de Millet (Pergamo Museum Berlin) - Plan de Turin par Nicolas de Fer - Turin Piazza san Carlo (photo Web)
Plus près de nous Thomas More (1451-1530 – nommé, un temps, à la chancellerie du royaume par Henri VIII) décrit dans son livre « L’utopie » l’île d’Utopie où comme dans la République de Platon l’économie repose sur la propriété collective des moyens de production et l'absence d'échanges marchands. 54 villes toutes construites sur le même modèle urbain, avec les mêmes édifices et le même système politique, constituant l’île. Utopie forgé par More sur le grec « ou » (non) et topos (lieu)
Avant lui, l’architecte italien Filareti (1400-1469) a décrit la ville idéale de Sforzando ; son projet, grand moment de réflexion artistique de la Renaissance, est fondé lui aussi, pour une part, sur le souvenir de la « République ». On note que dans ses dessins, les cités sont régies par les principes de symétrie et de perspective. Un édifice circulaire est le point de fuite vers lequel convergent toutes les lignes.
C’est le temps aussi de la «Vue de la cité idéale » d'abord attribué à Piero de la Francesca, puis à Luciano Laurana et maintenant à Francesco di Giorgio Martini ou Melozzo da Forli.
On retrouve ces principes dans la construction des places fortes comme Vitry le François au XVIe, Charleville en 1606, Henrichemont en 1631.
Vient plus tard le goût des « industriels » pour la « Cité Idéale ». A la fin du XVIIIe siècle, l'architecte Claude Nicolas Ledoux construit la Saline Royale d'Arc et Senans. Elle préfigure les phalanstères et familistères du siècle suivant. L'ensemble est construit en demi-cercle. Au milieu le pouvoir avec la maison du Directeur et les locaux de production de sel, autour les maisons d'habitations et magasins. A noter que dans cette cité idéale, les enfants travaillent dès l'âge de 5 ans pour nettoyer les installations de l'usine, seulement abordables aux petites tailles !
En 1848 l'industriel Jean-Baptiste Godin installe ses ateliers à Guise dans l'Aisne. En s'inspirant du phalanstère de Charles Fourier (1772-1837), il crée le Familistère (classé monument historique en 1991) En 1867 l'atelier est devenu une vaste usine qui emploi 900 employés . Godin veut favoriser les relations sociales dans le cadre d’un habitat collectif qu’il appelle « palais social ».
Pour plus de détail :
Après More, un certain nombre d’écrivains vont décrire la vie politique et sociale dans une cité imaginaire. Ainsi la métaphore de la ville idéale se retrouve plus tard chez Jules Verne dans "Une ville idéale", "Le docteur Ox"et "L'île à Helice". En 1891, Edward Bellamy décrit dans "Cent ans après", une société idéale non plus située sur une île, mais dans le futur (en l'an 2000). On peut aussi citer "Le meilleur des mondes" d'Aldous Huxley, roman paru en 1932, qui rappelle la civilisation athénienne imaginée par Platon.
Entre 1947 et 1952, Charles Edouard Jeanneret dit "Le Corbusier" réalise fort partiellement "la Cité Radieuse" de Marseille (rebaptisée par certains locaux « la Maison du fada »). Pour contrer l'étalement des villes, Le Corbusier propose de resserrer la ville en densifiant le centre avec des tours pour libérer des espaces pour des jardins, terrains de sports et de jeux, parking etc.
Aujourd'hui naissent également des cités idéales à vocation touristique (« haut de gamme »). L'exemple le plus fou se trouve à Dubaï avec "Palm Islands" : des complexes hôteliers et des villas, destinés aux plus riches, sont édifiés sur des îles artificielles . Dans le même esprit, et près de Palm Islands se trouve "The world" , succession de 300 îles en forme de planisphère . Avec la crise économique, les travaux commencés en 2003 ont été arrêtés en 2008 (les îles commençaient à se diluer dans la mer), ils semblent repartis.
Les architectes ont le droit de concevoir et de réaliser une "Cité Idéale", organisée, unifiée, supposée avoir une influence sur l'éducation et le comportement humain, mais sont-il certains que ce cadre apportera le bonheur aux individus ?
"Le bonheur est un maître exigeant, surtout le bonheur d'autrui". Aldous Huxley.
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