Avril 2013 Palais du Luxembourg. "CHAGALL, entre guerre et Paix" inflige au visiteur une longue file d'attente. Fréquenter les expositions médiatisées devient de plus en plus impossible à ceux qui, comme moi, refuse d'attendre une heure ou plus avant de s'entasser devant des toiles à entre-apercevoir. De retour chez moi, passablement hargneuse, vite plongée dans mes livres d'art, je rêve d'être commissaire d'une exposition sans file d'attente, où les visiteurs ont le temps d'admirer tranquillement les oeuvres, où les casques audio et les visites de groupes sont interdites. Alors au"Musée imaginaire voir ou revoir" je conçois l'exposition :
Marc Chagall graveur et illustrateur
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Au cours de sa longue vie (1887-1985) Marc Chagall, de son vrai nom Moïsche Zakharovitch Chagalov, pour s'exprimer dans un style très personnel, donc reconnaissable, a utilisé la peinture, la sculpture, le dessin, le vitrail, la mosaïque, la céramique, la poésie. Son oeuvre de graveur et d'illustrateur, moins connue, est considérable.
"Mon art vient des livres que j'ai vus sur les pupitres et dans les armoires des synagogues, et que j'ai touchés de mes mains päles"
A l'occasion de sa première exposition personnelle à Berlin en 1922, le Directeur de la Galerie Cassirer propose à Chagall d'éditer son manuscrit "Ma vie" qu'il illustrera de ses propres gravures. Pour cette approche Chagall utilise la technique la plus simple, la pointe sèche. C'est là que commence son travail de graveur. Le livre ne paraîtra jamais.
C'est une autre commande de gravures qui le ramène à Paris. Par l'intermédiaire de Blaise Cendrars, Ambroise Vollard (marchand d'art, galeriste et éditeur) lui propose d'illustrer "Les âmes mortes" de Gogol. A partir de septembre 1933 et en deux années, Chagall crée 107 planches en eau-forte. (Les âmes mortes paraîtront aux Editions Teriade en 1948)
Chagall développe le projet d'illustrer "Les fables de la Fontaine". Vollard est d'accord. En 1925-27, il réalise plus de 100 gouaches s'inspirant plus des fables que les illustrant. Elles sont destinées à être transposées en gravures couleurs par des graveurs expérimentés. Le projet échoue et Chagall les entreprend lui-même en gravure noir et blanc en 1929. (Le livre ne sera édité qu'en 1952 par Teriade. Chagall, qui regrettait l'absence de couleur dans cet ouvrage, accepte de reprendre à la gouache les 100 gravures des 85 exemplaires de tête)
Le loup et l'agneau
Le renard et la cigogne
Le cheval et l'âne
En 1931, nouvelle demande de Vollard : illustrer la Bible. Chagall part pour deux mois en Palestine. Il s'imprègne de la beauté de la Terre Sainte et se met au travail. Au début de la guerre (en 1939 année de la mort de Vollard) il a exécuté 66 planches. Le travail de préparation des gravures reste toujours le même, Chagall fait d'abord des ébauches à la gouache en couleur, il cherche ensuite à retrouver le chatoiement des couleurs dans une phase en noir et blanc. De 1952 à 1956 une nouvelle série complète l'existant, en 1957 le livre est enfin publié aux Editions Teriade (105 planches). A nouveau Chagall reprend à la gouache les gravures de 100 des exemplaires.
Abel et Caën
Abraham en deuil de Sarah
Elie sur le mont Carmel
Lorsque Vollard décède de mort accidentelle en 1939, aucun des ouvrages commandés n'a été publié, Vollard a stocké les gravures de Chagall (on peut se poser des questions ?) Chagall interrompt son travail de graveur dans l'attente de la succession, ceci explique la remise en route de la Bible en 1952 (à noter que la difficile succession de Vollard ne se terminera qu'en 2010 avec la vente du contenu du "coffre Vollard")
Chagall a connu Teriade (Efstrathios Eleftheriades dit Teriade - écrivain, critique d'art et éditeur) avant guerre en 1926, les bonnes relations qu'ils nouent ont décidé Chagall à lui confier le travail inachevé par Vollard.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il est encore réfugié aux Etats-Unis, à l'occasion de la publication de "Four Tales for Arabian Nights" Chagall découvre la lithographie. Elle deviendra son mode d'expression privilégié pour l'illustration. C'est dans l'atelier de Fernand Mourlot, où Charles Sorlier devient son compagnon de travail, qu'il acquiert une totale maîtrise de la technique.
En 1950 Teriade demande à Chagall de collaborer à sa revue "Verve". Dans le n° 24 paraissent 26 reproductions lithographiques de lavis en noir et blanc illustrant "Le Decameron" de Boccace. Suivent dans les n° 33 et 34, 105 planches de la Bible reproduites en héliogravures.
Le Decameron -
Litho pour Verve 33 et 34
1952. Nouvelle commande de Teriade : l'illustration de "Daphnis et Chloé" de Longus, auteur du IIe siècle natif de Lesbos comme Teriade. Cela donne l'impulsion à Chagall pour un premier voyage en Grèce, il vient de se remarier avec Valentina Brodsky.
L'album "Cirque" paru en 1967, sera le fruit de la dernière collaboration entre le peintre et l'éditeur. L'album comporte 23 lithographies en couleur, 15 lithographies en noir et blanc, les textes sont de Chagall lui-même.
En même temps qu'il travaille pour Tériade, Chagall collabore aux Editions d'Aimé Maeght. Celui-ci est son marchand depuis son retour à Paris en 1948. Maeght devient son éditeur et publie le livre de Jacques Lassaigne "Chagall" avec 15 lithographies du peintre ; puis un long poème d'Aragon, "Celui qui dit les choses sans rien dire", que Chagall illustre avec 24 eaux fortes et aquatintes surréalistes en couleur.
Celui qui dit ...
Les succès de ses livres attirent à Chagall de nombreux éditeurs dont André Sauret qui publie "Vitraux pour Jerusalem" avec sept lithographies en 1963, "Tempête" de Shakespeare en 1957 (50 lithographies en noir).
Parallèlement, Chagall travaille aussi avec l'éditeur Léon Amiel, à Paris et New-York, pour "The story of Exodus" (24 lithographies) et "l'Odyssée" (43 lithographies en couleur)
Le dernier éditeur amené à travailler avec Chagall est installé à Genève, il dirige, lui aussi une galerie reconnue : c'est Gerald Cramer. Il propose à Chagall d'éditer ses "Poèmes", écrits entre 1930 et 1964 et de les illustrer avec 24 gravures, cette fois dans une nouvelle technique : la gravure sur bois.
La production de Chagall graveur est impressionnante. C'est Sauret qui publie les six tomes de "Chagall lithographe" entre 1960 et 1986, il répertorie 1101 lithographies de l'artiste sur une période de plus de 60 ans (1922-1985).
Chagall a expérimenté de nombreuses techniques, la pointe sèche, l'eau-forte au trait, l'eau-forte à l'aquatinte, la lithographie, la gravure sur bois.
Libre, éloigné du réel, décrivant un monde de rêve où les humains sont capable de voler, Chagall est bien dans ses illustrations le peintre poète comme l'appelait ses amis de la Ruche.