L’archer, les deux mains serrées sur la hampe de sa lance pointée vers le haut, le pommeau reposant sur son pied, attend l'ordre de se mettre en marche. Son visage de profil est bruni par le soleil, sa barbe est frisée en petites boucles serrées. Une corde est roulée en torsade sur ses cheveux (bandeau encore porté aujourd’hui dans certains pays arabes pour maintenir le carré de tissu placé sur la tête). Sa seconde arme est un grand arc : la corde est passée dans son bras gauche, la courbure de la branche s’élève au dessus de sa tête. Les liens du carquois qu’il porte sur le dos retombent vers le sol. Sa longue tunique descend jusqu’aux chevilles , elle a de larges manches dégageant ses poignets ornés de bracelets sans doute en or. Des boucles d'oreilles, également jaunes, complètent la parure.
Si cette œuvre était une pièce unique, nous serions fascinés par sa constitution en briques moulées dans une pate siliceuse, par la belle harmonie de glaçures vertes, brunes, blanches et jaunes. Ce bas relief n’est pas épais, pas plus de 5 mm, mais avec le recul il semble plus important. Le fond est d’un bleu changeant selon le degré de cuisson qu’a subi la brique.
Ce qui devient plus extraordinaire, c’est que cet archer au regard fixe, immobile et rigide sur le panneau de 2m de haut, n’est pas unique mais a été multiplié à l’identique de nombreuses fois avec seulement deux variantes : le sens de la marche et les motifs de la tunique qui alternent soit des petites rosaces bleues sur un fond jaune, soit de petites maquettes de forteresses sur un fond blanc.
Il y a 2500 ans, défilant les uns derrière les autres, ces archers formaient une frise se déroulant sur des centaines de mètres. Elle était sans doute installée, de façon assez élevée, sur une grande partie des façades extérieures du palais de Darius Ier à Suse. Elle encadrait la porte d'entrée. Des motifs polychromes géométriques ou floraux cernaient les frises et les panneaux, ornaient les escaliers, les montants de portes ou de fenêtres. La frise représentait-elle les « Immortels » garde d’élite du roi composée de 10000 hommes, ou bien l'image idéale de l'homme perse, soutien de l'empire ?
Au musée du Louvre, la salle dédiée au Palais de Darius était fermée depuis trois ans en raison de la construction de nouveaux escaliers devant desservir le pavillon Marengo.
Elle vient de rouvrir et je retrouve avec bonheur les nombreux panneaux reconstitués de « la frise des archers ».
Darius Ier (522-486 av. JC) était roi de l’Empire perse achéménide dont la capitale était Suse. C’était un grand conquérant, son Empire s’étendait de la vallée du Nil à celle de l’Indus (il était aussi Pharaon d’Egypte) et un grand bâtisseur. Il fit élever, dès le début de son règne, le Palais de Suse, en porphyre et en bois de cèdre (défi à la nature dans un pays qui ne possédait ni arbres ni carrières), sur une terrasse artificielle de 12 hectares. Le palais comportait une salle d’audience royale nommé « Apadana » dont le plafond était supporté par des colonnes de près de vingt mètres couronnées d’un chapiteau avec pour élément décoratif deux bustes de taureaux.
Darius Ier a également fait construire le Palais de Persépolis.
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Plan du Palais de Darius - Photo du site de Suse, avec au fond le Chateau de Jacques de Morgan (photos web)
Sur le Palais de Darius, détruit par un incendie, Artaxerxés construisit un nouveau palais en laissant sur place les matériaux ruinés qui se retrouvèrent dans les fondations. A la fin du XIXe siècle, des fouilles sont entreprises. Le Britannique W.K. Loftus repère les grandes lignes de l’Apadana. En 1884/1885, Marcel Dieulafoy et sa femme reprennent l’exploration. Ils découvrent de nombreuses briques qui permettent de reconstituer deux panneaux représentant des archers. Puis des éléments innombrables sont récupérés dans l’Apadana. A partir de 1908 Les fouilles sont poursuivies par Roland de Mecquenem et Jacques de Morgan. Le musée du Louvre recueille des milliers de briques plus ou moins complètes. Il s’en suit un travail long et laborieux pour reconstituer un archer : il faut trier les briques, les répertorier, repérer les emplacements sur des patrons, combler les manques. Les archers remontés comportent entre 56 et 64 % de parties originales, les glaçures des éléments restaurés sont volontairement d'un ton plus clair . Aujourd’hui, les fonds de briques restant dans la réserve ne permettent plus d’envisager la réalisation d'autres panneaux.
Dans la salle de Darius, outre la « frise des archers », on peut admirer la « frise des lions » et celle des « griffons », ainsi que de la vaisselle et des objets précieux. L' anse de vase en forme de bouquetin ailé (en argent partiellement doré) dont les pattes reposent sur un masque de Silène, nous permet d'imaginer le faste de la cour de Suse.
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Musée du Louvre - Antiquités orientales - Salle Sully
Décor du Palais de Darius Ier - Site archéologique de Suse en Iran