Dans mon précédent article je vous décrivais la salle du Palais de Darius qui venait d'être rouverte au public. Une autre salle, "la cour du Sphinx" , a été rouverte en décembre 2014. Elle avait été fermée en 2002 pour stocker une partie des sculptures des réserves du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines qui se trouvaient dans les sous-sols. Le Louvre avait suivi les recommandations de la Préfecture de Paris qui craignait une crue centennale de la Seine.
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Au sol , la mosaïque des Saisons qui ornait une riche villa romaine au IVe siècle, à Daphné, faubourg d'Antioche.
On peut admirer à nouveau, fixées au mur , les 43 plaques, vestiges de la frise ionique du temple d'Artémis à Magnésie du Méandre, (actuelle Turquie) datées du IIe siècle avant JC. Elles représentent le combat entre les guerriers grecs menés par Héraclès et les Amazones.
Les grands chapiteaux de pilastres, décorés d'acanthes ou de griffons datent du IIe siècle avant JC, et les impressionnantes bases des colonnes ont été sculptées à l'époque impériale
Dressée dans une embrasure, tournant le dos à l'escalier Daru, Melpomène est une des plus grandes statues du Louvre. Elle est en marbre et mesure 3,92 m. Elle date du Ier siècle avant JC-Ier siècle après . Muse de la tragédie, elle a été découverte en 1496 à Rome sur le Champ de Mars, elle était dépourvue de bras. En 1782, Giovanni Pierantoni lui ajoutera des avant-bras et le masque tragique . Quatre autres muses ont été retrouvées vers la fin du XVIe siècle. Melpomène fait sans doute partie d'un groupe de neuf muses qui décoraient le théâtre ou le portique de Pompée, premier édifice de spectacle en pierre à Rome. Melpomène est la seule a avoir conservé sa tête d'origine.
Dans une salle adjacente, on peut voir une très belle tête en marbre d'Athéna casquée datant de 470-460 av. JC. Le visage devait être rehaussée de peinture, les cils en métal, le cou s'encastrant dans le corps d'une statue. Les trous de fixation signalent l'existence d'éléments rapportés, cheveux, bijoux, cimier sur le casque.
Au mur, une métope du temple d'Olympie," Les oiseaux du lac Stymphale" 450 av. JC. Du corps d'Héraclès, seuls la tête et le bras subsistent, la reconstitution donne une effet totalement surréaliste de l'histoire représentée : les oiseaux de la forêt proche du lac de Stymphale dévoraient les fruits et les récoltes. Héraclès les attira en jouant des castagnettes de bronze que lui avait offertes Athéna. Il tua les oiseaux et les offrit à la déesse.
Et enfin, la belle statue (IIème siècle après JC, en marbre) d'Héraclès et Télèphe a quitté la salle des Caryatides pour s'installer dans ce bel espace. Est-ce une vérité historique (mythologiquement parlant) ? Héraclès a-t-il tenu Télèphe dans ses bras ? Selon le récit qui suit on peut en douter.
Héraclès et Augé
En ce temps là, Aléos était roi de Tégée, au pays d'Arcadie. Il avait épousé Néère qui lui avait donné quatre enfants : une fille Augé, et trois garçons. Un jour, l'Oracle assena à Aléos, de passage à Delphes, que les frères de Néère seraient occis par le fils de sa propre fille.
Si le sort de ses beaux frères ne le tracassait qu'à demi, il savait par contre qu'il aurait à redouter la colère de son épouse s'il n'agissait pas (on sait à quel point, dans la Grèce d'alors, les rois ont eu du mal à maintenir le calme dans leur foyer). Aléos, en outre, aimait bien sa femme.
Il revint vite à Tégée, fit de sa fille une prêtresse d'Athéna, dans le sanctuaire qu'il avait fondé, lui souligna que sa fonction lui imposait la plus stricte chasteté, que sa vie en ce monde en dépendait.
C'était une très bonne solution ...
Un peu plus tard, Héraclès, toujours sur les routes, passa à Tégée. On ne sait s'il partait combattre Augias qui lui devait encore le salaire promis pour le nettoyage de ses écuries, ou bien s'il rentrait à Sparte. Aléos le reçut chaleureusement. La réception eût lieu dans le temple d'Athéna. Augé était présente, pure et chaste dans ses voiles. Vous connaissez Héraclès : très vite il repéra la jeune vierge, avec le vin, vint l'appétit coupable. Certains affirment que, pris de boisson, Héraclès viola purement et simplement Augé, d'autres relèvent que le sacrifice ayant eu lieu hors du sanctuaire, près d'une fontaine, il y aurait eu rendez-vous.
Le lendemain Héraclès poursuivit sa route.... et alla faire un enfant à Parthénope. Six mois passèrent. La famine et la peste s'étaient abattues sur Tégée ; Aléos s'interrogeait. La pythie assura qu'un crime avait été commis dans le temple d'Athéna. Le Déesse se vengeait. Le roi alla voir et constata que les rondeurs de sa fille étaient un aveu. Aléos le prit très mal : le flot des pleurs d'Augé, sa déclaration d'être une victime injustement chargée des crimes d'un violeur ivre ne calmèrent pas le Roi.
Il traina la malheureuse sur la place du marché pour la tuer. Là devant la foule, gêné, il recula et préféra charger son ami, le roi Nauplios, grand navigateur au passé trouble, de la noyer.
Sur le chemin de Nauplie, Augé mit au monde un fils qu'elle cacha dans un fourré. Nauplios n'avait aucune raison de noyer Augé, donc perdre l'argent que lui vaudrait la vente de cette très belle princesse. Elle fût achetée finalement par Teuthras, en Mysie (Asie Mineure).
Le bébé restait dans son fourré, sur le mont Parthénios. Un lièvre l'allaita un temps (il est dit parfois que c'est une biche, comme représenté sur la statue) avant que les bergers le découvrent, l'appellent Télèphe et le conduisent à leur maître le roi Corithos.
Quant Télèphe fût grand, voulant savoir de qui il était le fils, il alla interroger l'Oracle de Delphes qui l'envoya en Mysie chez le roi Teuthras. Il avait bien sur tué auparavant ses deux oncles (à la parole d'Apollon, on ne saurait échapper).
Sur les retrouvailles de la mère et du fils, les versions sont diverses ; la plus théâtrale et par là la plus vraisemblable est la suivante :
Quant Télèphe survint, Teuthras était aux prises avec un Argonaute, Idas, qui voulait s'emparer du trône. Teuthras promit à Télèphe Augé, qu'il avait adoptée, s'il le tirait des griffes d'Idas. Bien sur, en une seule bataille Teuthras était sauvé. Les futurs époux furent présentés l'un à l'autre. Télèphe ne reconnut pas sa mère dans sa ravissante fiancée, car c'était elle ! Augé ne reconnut pas son fils (sa ressemblance à son père était pourtant prodigieuse). Vint la noce, les célébrations et, dans la chambre le "tête à tête".
Fidèle au souvenir d'Héraclès (elle n'avait cessé de l'aimer !) Augé s'était munie d'une épée pour protéger sa semi-virginité. Elle serait allée jusqu'au meurtre si les dieux n'avaient délégué un serpent pour les séparer et qu'ils puissent crier, l'une - ô mon fils !, l'autre - ô ma mère ! et tomber dans les bras l'un de l'autre !
Heureux ils quittèrent vite la Mysie et retrouvèrent leur Arcadie chérie.
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Salle du Sphinx - Pavillon Denon - Musée du Louvre Paris