Dans mon article précédent, j'ai présenté de nombreuses xylographies réalisées par Félix Vallotton autour des années 1900. La passionnante exposition du Louvre, Les origines de l'estampe en Europe du Nord 1400-1470, nous ramène ainsi cinq siècles auparavant et nous présente les techniques alors utilisées, la xylographie, le burin et celle plus méconnue du criblé.
Les historiens s'accordent en effet, aujourd'hui, sur le fait que le pôle de développement et d'expérimentation de l'estampe se situe dans les pays germaniques entre 1400 et 1430. Il faut se rappeler néanmoins que l'estampe s'est aussi développée au XVe en France en Italie et dans les Flandres.
Etapes résumant les débuts de l'estampe en Europe du Nord
1400 - premières xylographies - productions anonymes - Le bois Protat
1440 - essor de la xylographie et premières gravures sur métal (burin)
1450 - premières gravures au criblé
1450 - premier graveur identifié d'après un monogramme - Le Maître ES (env.1420-1468)
autres graveurs désignés sous les noms de : Maître des cartes à jouer - Maître au
Banderoles - Le Maître de la Mort de Marie - ; et de biens jolis noms pour les graveurs
qui travaillent avec les enlumineurs : Maître des bordures à fleurs - Maître des jardins
d'amours.
1470 - l'estampe se généralise, elle est pratiquée par des artistes qui ne sont pas seulement des
graveurs, le plus illustre Martin Schongauer (1450-1491)
A noter : l'eau forte fera son apparition en 1500.
Premières xylographies
Elles sont peu nombreuses, estimées pour la période de 1400 à 1440 à environ 70 estampes.
Le bois Protat
C'est la première xylographie connue.
Le bois Protat (du nom de son premier propriétaire, Jules Protat imprimeur) a été retrouvé vers la fin du XIXe siècle dans une maison de Laives au sud de Chalon-sur-Saône (elle servait de calage à un dallage ou un escalier). Son lieu de création reste encore un mystère. Les historiens penchent les uns pour la France, les autres pour l'Allemagne du sud. La datation oscille autour de l'année 1400.
Le bois de noyer conservé mesure 23cm dans sa largeur la plus longue et environ 58 cm de haut. Il est gravé des deux côtés, tête-bêche. Sur la face la mieux conservée, la crucifixion, le bras du Christ, qui apparaît en haut de l'image, a permis aux historiens de considérer que la xylographie originale devait mesurer 45x60cm. Elle a pu être imprimée à cette époque sur un papier au format royal 43x62cm.
Le bois Protat est une des merveilles de cette exposition
Impression du bois Protat
Une autre pièce déterminante des débuts de la gravure sur bois :
Le christ au mont des Oliviers, xylographie coloriée, vers 1420 - Allemagne du Sud
Gravure au criblé
C'est une gravure en relief sur métal : on grave au moyen d'un burin ou avec des poinçons de différents calibres que l'on frappe au marteau. La frappe génère une série de petites cuvettes qui resteront blanches au tirage. Comme pour la xylographie c'est le relief qui est encré.
L'exposition du Louvre montre une magnifique plaque de cuivre gravée des deux côtés en criblé vers 1460-1470 : l'Annonciation avec la Visitation et la Nativité. Elle est d'abord considérée comme une gravure en taille-douce, le tirage effectué au XVIIIe en encrant les creux révèle une estampe sombre et indistincte. Pierre Gusman (1862-1941), historien et graveur, soupçonne qu'au lieu d'être une taille-douce la plaque a été gravée en relief. Il fait une photographie du tirage, son épreuve négative fait ressortir en blanc les tailles du burin et le criblé, il avait sous les yeux la preuve d'une estampe au criblé.
tirage du XVIIIe imprimé en taille-douce (les creux sont encrés, le relief reste blanc)
tirage moderne imprimé en relief (le relief est encré au rouleau, les creux restent blancs)
Autres gravures au criblé
Sainte Catherine, vers 1450-1460
Saint Bernardin de Sienne - 1454 ?
L'essor de la xylographie et premières gravures sur métal
L'essor de l'estampe est pour une grande part lié à la dévotion du temps. Les pèlerinages sont nombreux. Les pèlerins dans l'attente de miracles vont se recueillir devant des reliquaires et achètent des images pieuses.
Les xylographies sont produites en quantité. Les copies se multiplient.
Il arrive que pour satisfaire la demande, les graveurs découpent les planches : sur une partie sont gravés le fond et le corps de la Sainte, sur une autre viennent s'intercaler les visages et attributs propres à chacune.
Le Maître ES
Il est le premier graveur à avoir apposé un monogramme sur ses gravures : E,e,es,ou ES. Une vingtaine d'estampes portent une marque mais l'estimation de sa production est beaucoup plus importante. Ce sont les images religieuses qui dominent dans son oeuvre.
En 1466, le monastère d'Einsiedeln en Suisse lui commande trois gravures pour le 500e anniversaire de l'apparition de la Vierge Marie au monastère.
Le Maître ES réalise trois burins de formats différents, la plus petite estampe pouvant être destinée au pèlerins les moins fortunés.
La Grande Madone d'Einsiedeln (20,8x12,4cm)
La Petite Madone (13,3x8,7cm)
La Très petite Madone (10x6,7cm)
Le Maître ES a également gravé des images satiriques très prisées dans la noblesse ainsi qu'un alphabet figuré.
Le fou et la femme à l'écusson, burin vers 1450-1470
Alphabet figuré - Lettre N (vers 1466)
Le Maître des cartes à jouer
Les premiers ensembles d'estampes gravées sur métal datables et localisables sont celles du Maître des cartes à jouer dont la production est estimée à une centaine d'oeuvres.
Les cartes de valeurs sont le plus souvent représentées par des animaux, l'exposition en montre quelques unes. Les cartes des figures, qui ne sont pas exposées, sont à mon goût les plus belles.
Les images didactiques
Elles illustrent, au travers d'une série de petits tableaux juxtaposés sur une même planche, les fondamentaux de la foi catholique. Elles sont surtout destinées au public illettré. La planche des Dix Commandements permet d'identifier les péchés, de les éviter ou de les confesser, mais la symbolique est assez énigmatique.
Les Dix commandements, les Cinq sens, les Sept péchés capitaux,
xylographie coloriée vers 1480 Bavière
Le Martyre de saint Erasme est plus facile à comprendre, les images se lisent comme un texte de gauche à droite et de haut en bas
xylographie coloriée vers 1460 - Souabe
Martin Schongauer
Dans "l'Encensoir", Martin Schongauer arrive, avec sa grande maîtrise du burin, à jouer sur les ombres et les lumières. On retrouve la précision de l'orfévrerie, métier de son père (voir article Martin SCHONGAUER - Graveur - Musée Unterladen Colmar )
Cette exposition est extrêmement enrichissante, surtout pour les graveurs (dont je fais partie). Si vous êtes dans la région parisienne ne la manquez surtout pas !
MUSEE DU LOUVRE - AILE SULLY - 2ème étage - Jusqu'au 13 Janvier 2014