"LE FEU SOUS LA GLACE"
Si avant ma visite au Grand Palais, il m'avait été demandé de citer des oeuvres de Vallotton, je n'aurais pas été très bavarde : quelques toiles du Musée d'Orsay, images d'intérieur, enfant jouant dans un jardin (peut-être confondu avec une peinture de Vuillard) autoportrait. Plus présent dans mon esprit un portrait de Misia vu à l'exposition "Misia Reine de Paris".(MISIA SERT- Musée d'Orsay - août 2012 )
Cette première grande rétrospective consacrée à Félix Vallotton fait découvrir non seulement le peintre, mais aussi l'illustrateur, le caricaturiste, le critique d'art, l'écrivain auteur de trois romans et d'une dizaine de pièces de théatre, et surtout le graveur, pour moi, sans équivalent.
Félix Vallotton naît à Lausanne le 28 décembre 1865 d'un père fabricant de chocolat et d'une mère fille de boulanger (il sera naturalisé français en 1900 sans renoncer à la nationalité suisse).
Il peint ses premiers tableaux à treize ans. A 16 ans, juste après avoir décroché son bac, il vient à Paris avec l'ambition de devenir un grand peintre. Il s'inscrit à l'Académe Julian berceau des post impressionnistes et des futurs nabis. Il peint de nombreux portraits et copie les grands maîtres au Louvre.
En 1891, il grave ses premières xylographies (sans doute à l'instigation de son ami le plus proche, Charles Maurin). Vallotton redonne une place à la gravure sur bois de fil en renouant avec les aplats francs et la simplicité de forme. Il opte pour une technique expressive en noir et blanc délaissant la lithographie en couleur qui bénéficiait d'une énorme popularité auprès des peintres en cette fin de siècle.
La gravure sur bois ne permet pas les nuances, on ne peut pas jouer avec les dégradés. Le burin creuse le bois, dégage le motif qui se montre en relief. A l'impression le relief est encré au moyen d'un rouleau et forme les zones noires, le bois creusé conserve le blanc du papier.
Vallotton excelle dans ce traitement du contraste noir et blanc. La force de ses noirs l'emporte souvent et ne laisse que peu de place au blanc.
Ses premiers bois gravés sont des portraits et des paysages de montagne. Puis après l'évocation de la foule et des rues parisiennes il exploite l'intérieur bourgeois, l'image de la femme et l'hypocrisie des moeurs.
En 1893, il rallie le groupe des Nabis (mais demeure le "Nabi étranger"), se lie d'amitié avec Vuillard. Il fait la connaissance de Thadée Natanson, cofondateur de La Revue blanche, et de sa femme Misia.
Vallotton devient illustrateur pour La Revue blanche, le Courrier français, Le Cri de Paris, Le Rire.
Il dessine plus d'une centaine de "masques", portraits-vignettes de célébrités dessinés en quelques traits et taches, publiés jusqu'en 1902 dans le Chasseur de chevelures, supplément humoristique de la Revue blanche. Il publie des articles dans La Gazette de Lausanne.
En 1899, il épouse Gabrielle Rodriguez-Henriques, riche veuve mère de trois enfants, fille d'Alexandre Bernheim. Quelque peu anarchiste dans les années 1890 son intégration dans cette grande famille parisienne l'oblige à modérer son discours. Conséquence du mariage ou retour à son ambition initiale de devenir un grand peintre : il délaisse la gravure au profit de la peinture.
En 1900, à l'exposition des Nabis chez Bernheim-jeune, il présente dix tableaux. Il écrit aussi son premier roman "Les soupirs de Cyprien Morus"(le second "La vie meurtrière" sera publié en 1907 et le troisième "Corbehaut" en 1918).
En 1903, le Salon d'Automne voit le jour dans le sous sol du Petit Palais à Paris. Vallotton est un membre fondateur, il participera aux expositions jusqu'à sa mort.
Sa carrière de peintre ne se fait pas sans l'incompréhension de la critique et du public, sa peinture est jugée froide, cérébrale, cruelle, ses nus choquent. Il utilise la photographie, qui le passionne, pour créer de nouveaux cadrages.
Vallotton, inclassable, reste à contre courant de son époque. Alors que le cubisme prend son essor, Vallotton continue de privilégier le dessin et la ligne dans ses tableaux.
En 1907 il fait un portrait de Gertrude Stein avec un réalisme proche d'Holbein ; Picasso est moins fidèle à son modèle et dit "Vous verrez, elle finira par lui ressembler !". La vision des peintres est tout aussi décalée dans Les demoiselles d'Avignon de Picasso et le Bain Turc de Vallotton.
De nombreux commentaires attribuent aux oeuvres de Vallotton les expressions d'inquiétude, de tension, de thriller, de monde hitchockien. Je ne le ressens pas ainsi : ses tableaux sont lourds de silence, la solitude pèse même s'il y a deux personnages en présence, mais je n'y vois pas la noirceur de sentiments ou le meurtre.
En 1915, Vallotton retrouve la xylographie pour les planches de l'album "C'est la Guerre".
En 1917, il est envoyé en mission pour dépeindre la vie dans les tranchées. A son retour, à partir de ses esquisses, il peint sans relâche, et s'affranchira du réalisme avec une vision apocalyptique de "Verdun".
Jusqu'en 1925, il participe à des expositions en Europe, aux Etats Unis et au Japon.
Sa production tardive comporte de nombreuses natures mortes, ainsi au Salon d'Automne de 1925, le dernier auquel il participe, il expose "Dame-jeanne et caisse".
Opéré d'un cancer, il meurt le 29 décembre, lendemain de ses 60 ans.
Autoportrait - xylographie - 13,1x10,7cm - BNF - 1891
La Jungfrau - xylographie - 14,5x25,5cm - BNF - 1892
La manifestation - xylographie - 20,3x32cm - BFN - 1893
La charge - xylographie - 20x26cm - BNF - 1893
Intimités - L'argent - xylographie - 17,9x22,5cm - Musée de Genève - 1898
Le feu d'artifice - xylographie - 16,4x12,2cm - BNF - 1900
C'est la guerre - la tranchée - xylographie - 17,6x22,3cm - BNF - 1915
Les fils de fer - xylographie - 17,7x22,5cm - BNF - 1915
L'orgie - xylographie - 17,7x22,3cm - BNF - 1915
Portraits vignettes - Paul Verlaine - Alexandre Dumas - Stendhal
Portrait d'Emile Zola d'après une photographie - huile sur carton -76x63,5cm - Collection WF Zurich - 1901
Les Andelys le soir - huile sur toile - 73,3x60,5cm - collection particulière - 1924
Le ballon - huile sur toile marouflé sur bois 48x61cm - musée d'Orsay - 1899
Misia à sa coiffeuse - détrempe sur carton - 35,9x29cm - Musée d'Orsay - 1898
Nu à l'écharpe verte - huile sur toile - 112x145cm - Musée des Beaux Arts La Chaux-de-Fonds - 1914
Le sommeil - huile sur toile 113,5x162?5 - Musée de Genève - 1908
La blanche et la noire - huile sur toile - 114x147cm - Fondation Hahnloser - Jaggli - 1913
Baigneuse de face - huile sur toile - 130,5x97cm - Kunsthaus Glarus - 1908
Portrait de Gertrude Stein - 1907
Félix Vallotton
Picasso
Le Bain Turc - huile sur toile - Musée de Genève 1907 et les Demoiselles d'Avignon Picasso 1907
Verdun - huile sur toile 114x146 - Musée de l'armée Paris - 1917
Les deux tableaux qui suivent - "Etude de Fesses" - huile sur toile 38x46cm - collection particulière vers 1884 et "Le Jambon" huile sur toile 61,5x50cm - Dallas Texas - sont isolés et accrochés côte à côte sur un mur. Subtilité que je ne comprends pas ? ou facétie des commissaires de l'exposition ? Je trouve le rapprochement assez inesthétique.
Poivrons rouges - huile sur toile - 46x55cm - Kunstmuseum Solothurn - 1915
Dame-jeanne et caisse - huile sur toile - 73x100cm - Dallas - texas - 1925
EXPOSITION PARIS, GRAND PALAIS - GALERIES NATIONALES
JUSQU'AU 20 JANVIER 2014