On ne sait trop où Vincent Willem van Gogh s'était procuré le révolver avec lequel il se tira une balle dans la poitrine le 27 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, quelque part dans les champs. Pourquoi ce geste dramatique ? Etait-ce la folie qui l'a rattrapé une dernière fois ? La passion pour son propre chemin de croix ? La conscience d'être une charge pour son frère Théo et le libérer en lui laissant des tableaux dont la valeur ne tarderait pas à croître après sa mort ? (Il avait été très frappé par la vente de l'Angélus de Millet à un demi million de francs dès après sa mort).
Vincent se traîne jusqu'à sa petite chambre du café Ravoux où il a pris pension. Le docteur Gachet décide de ne pas extraire la balle et de garder espoir. Le 28 Vincent attend la mort calmement couché dans son lit en fumant la pipe. Il meurt le 29 au matin en présence de Théo "Je voudrais que ce soit fini". Il est enterré le 30 juillet. Le cimetière se trouve au milieu des blés, la moisson n'est peut-être pas encore faite, quelques corbeaux tournent dans le ciel.
Dans les soixante dix tableaux et les trente deux dessins que van Gogh peint entre son arrivée à Auvers, le 21 mai, et ce jour de juillet, à l'exception du "Champ de blé avec corbeaux" rien ne paraît annoncer cette fin tragique. Les couleurs sont d'une fraîcheur extraordinaire : des bleus, des verts, des violets, parfois des roses.
Comment résumer une vie aussi passionnante, à la fois lumineuse et sombre, lumineuse par la foi en Dieu et en la peinture, sombre par la pauvreté et la dureté de l'existence. Je ne peux donner ici que de brèves indications et conseiller de plonger dans les biographies de Vincent et dans ses lettres à Théo dont l'écriture est remarquable.
Vincent, c'est ainsi qu'il signe ses tableaux, naît le 30 mars 1853 au presbytère de Groot Zundert (Pays-Bas), fils du couple de pasteurs Théodorus et Anna Cornelia van Gogh. Jour pour jour, un an auparavant, est venu au monde un enfant mort-né. On donne à Vincent le même prénom qu'au petit mort-né, Vincent Willem. Suivront cinq autres enfants, dont Théo qui deviendra son soutien.
La famille mène une vie simple. Le père de Vincent à dix frères et soeurs, trois frères sont marchands d'objets d'arts, l'un deux, l'oncle "Cent" est associé à la chaîne des galeries de l'éditeur parisien d'art Goupil et Cie.
En 1869, Vincent entre comme apprenti à la filiale Goupil de la Haye spécialisée dans la reproduction d'estampes. En 1873 il est muté à Londres. Ce qui devait représenter une récompense se transforme en une expérience de solitude qui le marquera pour la vie : il tombe amoureux de la fille de sa logeuse, il est éconduit. Cet amour malheureux le rend taciturne et renfermé. Il délaisse tous les livres pour un seul : la Bible. Le chiffre d'affaires de la filiale chute. En 1876 il est licencié.
Ses parents acceptent alors qu'il prépare à Amsterdam des études de théologie. Il ne sera pas admis pasteur mais il peut être prédicateur laïque. Envoyé en 1878 dans la région minière belge du Borinage auprès des plus pauvres parmi les pauvres, il s'installe dans une masure, partage ses vêtements, se nourrit d'eau et de pain. On ne renouvellera pas le contrat de ce prédicateur qui prend trop à la lettre le modèle évangéliste.
Totalement démarqué n'ayant de talent ni pour devenir marchand d'art (métier qu'il a détesté) ni pour être pasteur, Vincent écrit en 1880 une longue et déchirante lettre à Théo dans laquelle il lui fait part de son inébranlable décision de consacrer désormais sa vie à la peinture.
Il s'inscrit aux Beaux Arts de Bruxelles. Il est accueilli par Anton Mauve, le beau-frère de sa mère et l'un des peintres les plus connus de l'époque qui le conseille durant plusieurs mois.
En avril 1881 il retourne à Etten où son père occupe le poste de vicaire mais il doit quitter la maison paternel à Noël après une violente dispute. Il s'installe à La Haye et recueille "Sien", une prostituée plus âgée que lui, qui a une fille et est enceinte d'un deuxième enfant. Plus d'aide familiale, les problèmes financiers sont un fardeau. Au bout d'une année Sien doit "retravailler". Théo fini par convaincre Vincent de la quitter.
A l'automne 1883 il se retire à Drente, solitaire et blessé, et peint presque exclusivement les cabanes des paysans, puis, en fils prodigue, il retrouve ses parents à Nuenen à Noël.
L'été 1883 il a écrit à Théo une lettre prophétique :
"Non seulement j'ai commencé relativement tard à dessiner, mais il se peut même fort bien que je ne puisse plus compter sur de nombreuses années de vie.. En ce qui concerne le délai me permettant encore de travailler et que j'ai encore devant moi, je crois, sans être irréfléchi, pouvoir supposer la chose suivente : mon corps parviendra quand bien même à résister encore un certain nombre d'années - un certain nombre, disons entre six et dix... en l'espace de quelques années je dois réaliser un certain travail, je n'ai pas besoin de me dépêcher outre mesure, car cela ne mène à rien de bon - mais je dois, en toute tranquilité et décontraction continuer à travailler, aussi régulièrement et concentré que possible, de manière aussi claire et nette que possible, le monde ne me concerne que dans la mesure où je possède en quelque sorte, une certaine dette et obligation - parce qu'en effet, ça fait trente ans que je déambule sur cette terre - de léguer, par gratitude, un certain souvenir sous la forme d'un travail de dessin et de peinture - non créer pour plaire à telle ou telle tendance, mais pour exprimer un pur sentiment humain. Ce travail est mon objectif...."
C'est ce qu'il fera durant les années qui vont suivre, envoyant à Théo tout son travail en échange de son aide financière. Vincent reste à Nuenen jusqu'à la mort de son père, puis va à Anvers où il s'inscrit à l'Académie des beaux arts quelques mois. Il rejoint Théo à Paris en 1886 (demeurant d'abord chez Théo puis rue Lepic). Il avait jusqu'alors le soutien de Théo il a maintenant sa reconnaissance. Théo profite des liens de Vincent avec de jeunes artistes pour affirmer sa réputation de galeriste. Durant son séjour à Paris Vincent peint deux cent trente tableaux, plus que pendant tout autre période de sa vie. Pour parfaire son utilisation des couleurs fraîches il copie des motifs japonais très en vogue depuis l'exposition universelle de 1867 et se prend de passion pour la peinture japonaise, collectionne les estampes.
Il part à Arles en février 1888 comme s'il partait au Japon et loue en mai la "maison jaune". C'est là que Gauguin viendra le rejoindre en octobre. Leurs violentes querelles à propos des problèmes artistiques et le départ de Gauguin conduiront à l'accès de démence de Vincent en décembre et à l'épisode de l'oreille coupée connu de tous. Arles sera la période la plus importante et la plus féconde de sa vie.
Après un séjour à l'hôpital Vincent retrouve sa "maison jaune" mais sur une pétition des habitants d'Arles qui l'appelle "le fou roux" sa maison est fermée par la police. De lui même il se rend en mai 1889 à l'asile de Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Remy. On lui a donné une petite pièce vite transformée en atelier. Il y peint pendant une année avec encore plus d'acharnement qu'à Arles cent cinquante toiles et des centaines de dessins, interrompu seulement par trois crises durant lesquelles l'ombre et la lumière disputent son cerveau.
En janvier 1890, un premier article lui est consacré dans le "Mercure de France", en mars il vend "La vigne rouge" 400 fr (850 € d'aujourd'hui) à l'exposition des XX à Bruxelles, le seul tableau qu'il aura vendu de son vivant (il se trouve maintenant au musée Pouchkine à Moscou). En mars Vincent est représenté par dix tableaux au "Salon des indépendants" à Paris.
Théo inquiété par les mauvaises nouvelles qu'il reçoit, obtient du Docteur Gachet qu'il prenne Vincent auprès de lui à Auvers-sur-Oise et qu'il le soigne, jusqu'à ce 27 juillet 1890. Vincent à 37 ans, en l'espace de dix ans il aura accompli une oeuvre considérable.
Depuis 1973, Van Gogh a son musée à Amsterdam. A l'origine y étaient exposées presque uniquement les oeuvres de la collection de la famille van Gogh réunies par Théo. Aujourd'hui la collection comprend 220 tableaux, 500 dessins et 800 lettres de Vincent. Le Rijksmuseum Kröller-Müller à Otterlo possède également un nombre important de dessins et de tableaux de Vincent ainsi que de nombreux musées dans le monde entier.
"Il faut espérer que de si grands hommes qui ont été méprisés ou persécutés de leur vivant puissent recevoir un jour la récompense qui les fuyait sur terre quand ils auront atteint une sphère où ils jouiront d'un bonheur que nous ne pouvons pas nous imaginer et auquel vient encore s'ajouter celui d'être, en observant de là-haut, témoins de la justice avec laquelle leur descendance leur rend hommage". Eugène Delacroix
Comme bien d'autres, je connaissais par coeur sa dizaine de toiles surmédiatisées, j'avais vu le film de Pialat, j'avais déjeuné à l'auberge Ravoux et visité la petite chambre : je croyais connaître van Gogh...
A Amsterdam, Noël dernier, je me suis rendue au Musée Van Gogh, je dois l'avouer, sans grand enthousiasme. Ma visite a été un choc à la vue des dessins et des peintures méconnues. Mon émotion se prolonge à la lecture d'une biographie en deux volumes (édition Taschen) et je la poursuivrai avec l'intégralité des lettres à Théo. Je ressens une véritable tendresse pour cet ascète au coeur noble, ami zélé des pauvres et une admiration sans borne pour le peintre pionnier du Moderne qui ne cherchait pas la gloire mais la perfection. J'espère qu'il me pardonnera d'avoir mis tant d'années avant de faire réellement connaissance avec lui.
QUELQUES OEUVRES DU MUSEE D'AMSTERDAM - Photos MP
Lettre à Theo - 3 mars 1882
Vielle femme au châle - 1882 - comme décrit dans la lettre - encre et aquarelle sur papier
Entrée du Mont de piété - 1882 - encre à la plume et au pinceau, gouache blanche sur papier
Paysan bêchant - 1882 - lithographie
Chaumières - 1883 - huile sur toile
La récolte de pomme de terre - 1883 - huile sur papier
Tisserand et enfant dans une chaise haute - 1884 - encre et aquarelle sur papier
Lettre à Theo
Portrait d'un vieil homme - 1885 - huile sur toile
Femme assise - 1885 - encre à la plume et au pinceau sur papier
Citrons, poires et raisins - 1887 - huile sur toile
Couple place St Pierre - 1887 - huile sur toile
Bord de seine - 1887 - huile sur toile
Autoportrait - 1887 - huile sur carton
Route le long des remparts de Paris - 1887 - encre et aquarelle
Choux rouges et oignons - 1887 - huile sur toile
Le pêcher rose - 1888 - huile sur toile
Le verger blanc - 1888 - huile sur toile
Les Saintes Maries de la Mer - 1888 - Huile sur toile
Pelouse fraichement tondue avec un arbre pleureur - 1888 - Huile sur toile
Les rochers de Montmajour - 1888 -
Arbres et arbustes dans le jardin de l'asile - 1889 - huile et encre sur papier
Paysans d'après Millet - 1889
Maisons à la campagne - 1890 - encre, aquarelle et huile sur papier
La resurection de Lazare d'après Rembrandt - 1890