Après avoir parcouru les musées du monde entier en passant par le Louvre en 2013, l'Apoxyomène a retrouvé l'île de Lošinj, en Croatie, où il s'était noyé. Il trône désormais dans une salle immaculée du musée qui lui est entièrement consacré.
Je publie à nouveau son histoire. Est-il véritablement heureux dans cette salle qui ressemble à la cellule capitonnée d'un hôpital psychiatrique ? Il aurait sans doute, tout comme moi, préféré une salle ouverte sur les eaux cristallines qui l'avaient protégé durant tant de siècles.
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On m'appelle l'Apoxyomène de Croatie. J'ai quitté la Grèce vers la fin du IVè siècle avant JC à bord d'un navire à destination de l'Italie. Je devais servir de décor dans une villa, un jardin ou dans des thermes.
Je suis un lutteur, mes muscles du torse sont particulièrement développés par rapport à mes jambes. J'étais occupé à nettoyer mon corps après l'effort, en raclant (d'où mon nom apoxyomène qui vient du grec racler gratter), à l'aide d'un stigile, le mélange d'huile et de sable qui enduisait ma peau, lorsqu'une tempête a éclatée dans les eaux croates de la Mer Adriatique.
Pour délester le bateau on m'a jeté par dessus bord, la chute m'a arraché l'auriculaire gauche et j'ai laché mon stigile. J'ai coulé à 45 mètres de fond, les courants m'ont arraché les yeux. Ma peau de bronze s'est erodée lentement mais j'ai lutté (après tout c'était mon métier) pour conserver mon aspect.
On m'a retrouvé en 1996, les scientifiques m'ont accueilli avec une grande joie, je suis selon eux exceptionnel car dans la grande majorité mes milliers de compatriotes (les athlètes et parmi lesquels les apoxyomènes étaient une source d'inspiration pour les artistes) n'ont pas survécu à l'Antiquité. Ils ont été refondus pour récupérer le cuivre et l'étain afin de fabriquer armes, outils et vaisselles.
Je suis toujours aveugle, je ne sais pas où je suis, il y a beaucoup de monde autour de moi, le brouhaha d'un lieu vaste et clos ; j'entends les commentaires flatteurs, je n'ai donc pas trop changé, on me trouve beau. Ce doit être le jour. Soudain un silence profond s'installe. Je retrouve la solitude et l'angoisse des profondeurs de la mer où je suis resté vingt quatre siècles. Ce doit être la nuit.
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