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Mes visites d'expositions, de musées et autres lieux culturels.


De Giotto à Caravage - Musée Jacquemart-André - mai 2015

Publié par voir-ou-revoir sur 26 Mai 2015, 08:46am

Catégories : #Expositions à Paris

LES PASSIONS DE ROBERTO LONGHI

Le Musée Jacquemart-André abrite en ce moment une très belle exposition intitulée de Giotto à Caravage. Elle rassemble un certain nombre d'œuvres acquises par l'historien d'art , poète, écrivain et collectionneur Roberto Longhi.

Roberto Longhi naît à Alba dans le Piémont en 1890. Il étudie à l'université de Turin dont l'atmosphère conservatrice fait le désespoir de ses vingt ans. Marqué par ses origines piémontaises il s'intéresse plus aux peintres de l'Italie du nord qu'aux Toscans. En 1911, il propose une thèse qui apparaît, à l'époque, pour le moins originale ; elle concerne un lombard : Caravage. Est-ce le choc devant les toiles de Courbet vues à la Biennale de Venise en 1910 qui l'a mené à Caravage. Il dira du maître d'Ornans qu'il a "une sévérité dépouillée tout à fait caravagesque".

Au moment où Roberto Longhi soutient sa thèse sur Caravage, le XVIIe est relativement ignoré en Italie car étouffé entre le brillant XVIe , avec Raphaël et Michel-Ange, et l'élégant XVIIIe et les védutistes, Guardi, Canaletto, Pannini, Piranèse.

Caravage (1571-1610), de son vrai nom Michelangelo Mérisi (Caravaggio est le village où il est né), était considéré comme un peintre brutal et vulgaire. Sa peinture était jugée scandaleuse (il faisait poser des filles du peuple, des pochards et des prostituées), sa vie l'était tout autant, il fut arrêté et incarcéré de nombreuses fois. En 1600, les toiles peintes pour l'église Saint-Louis-des-Français (Le Martyre de saint Matthieu) l'ont rendu célèbre à Rome. Plus tard il sera adulé à Naples. Recherché pour meurtre il part pour Malte où il est intronisé chevalier. Une nouvelle incartade lui vaut un séjour en prison. Il s'évade et s'installe en Sicile pour une année. Il y peint "la Résurrection de Lazare". Il regagne Naples, peint "David tenant la tête de Goliath" . Victime d'un attentat, blessé, il part pour Rome à bord d'une felouque. En 1610, on le retrouve mort sur une plage près de Rome. Il n'a pas quarante ans.

Caravage - Le Martyre de saint Matthieu - 1599-1600 - huile sur toile 323x343 - Rome -Eglise Saint-Louis-des-Français. Détail - Au fond en haut à gauche du tableau autoportrait de CaravageCaravage - Le Martyre de saint Matthieu - 1599-1600 - huile sur toile 323x343 - Rome -Eglise Saint-Louis-des-Français. Détail - Au fond en haut à gauche du tableau autoportrait de Caravage

Caravage - Le Martyre de saint Matthieu - 1599-1600 - huile sur toile 323x343 - Rome -Eglise Saint-Louis-des-Français. Détail - Au fond en haut à gauche du tableau autoportrait de Caravage

Caravage - David tenant la tête de Goliath - 1605-1606 - huile sur toile 125x100cm - Rome - Galerie Borghèse - Détail - autoportrait de Caravage où l'on distingue, sur le front, la trace de la blessure reçue à Naples.  Caravage - David tenant la tête de Goliath - 1605-1606 - huile sur toile 125x100cm - Rome - Galerie Borghèse - Détail - autoportrait de Caravage où l'on distingue, sur le front, la trace de la blessure reçue à Naples.

Caravage - David tenant la tête de Goliath - 1605-1606 - huile sur toile 125x100cm - Rome - Galerie Borghèse - Détail - autoportrait de Caravage où l'on distingue, sur le front, la trace de la blessure reçue à Naples.

Caravage - Petit Bacchus malade - vers 1593-1594 - huile sur toile 67x53cm - Rome Galerie Borghèse. Caravage a réalisé trois autoportraits, celui-ci étant le premier.

Caravage - Petit Bacchus malade - vers 1593-1594 - huile sur toile 67x53cm - Rome Galerie Borghèse. Caravage a réalisé trois autoportraits, celui-ci étant le premier.

Contesté de son vivant, il l'est encore plus après sa mort. Ses œuvres sont redistribuées à ses rivaux. Totalement oublié, il disparaitra durant trois siècles. Il faudra attendre 1890 et l'autrichien Wolfgang Kallab pour que des œuvres aux attributions discutées soient réattribuées à Caravage en se fondant sur le traitement de la lumière et sur certaines particularités. Avec la découverte de documents d'archives, d'autres spécialistes continueront les travaux, et en 1920 Roberto Longhi s'engage à son tour "On dit Michelange de Caravage, indifféremment ténébriste ou luministe. On l'a oublié, sans lui il n'y aurait pas eu Ribera, Vermeer, La Tour, Rembrandt. Et Delacroix, Courbet, Manet eussent peint autrement".

Roberto Longhi se passionne pour Caravage mais il contribue aussi à révéler les primitifs italiens des XIVe et XVe siècle, Giotto, Masaccio, Masolino. Il devient très tôt collectionneur et commence à acheter des toiles dès 1915. La peinture du Seicento n'intéressait personne, elle n'était donc pas coûteuse. Il gardera toujours près de lui, dans sa chambre, un exemplaire du "Garçon mordu par un lézard" de Caravage acquise en 1925, et prouvera que Caravage pouvait reproduire certaines de ses œuvres.

Jeune garçon mordu par un lézard - vers 1595 - huile sur toile - 65,8x52,3cm - Londres National Gallery et une autre version à la Fondation Longhi

Jeune garçon mordu par un lézard - vers 1595 - huile sur toile - 65,8x52,3cm - Londres National Gallery et une autre version à la Fondation Longhi

Giotto di Bondone (vers 1267-1337) Saint Jean l'Evangeliste 1320 - tempera et or sur bois - 128x55,5cm Abbaye royale de Chaalis

Giotto di Bondone (vers 1267-1337) Saint Jean l'Evangeliste 1320 - tempera et or sur bois - 128x55,5cm Abbaye royale de Chaalis

Masaccio - Vierge à l'Enfant (Vierge de la chatouille) vers 1426-1427 - tempera et or sur bois 24,5x18,2cm - Florence - Galleria degli Uffizi

Masaccio - Vierge à l'Enfant (Vierge de la chatouille) vers 1426-1427 - tempera et or sur bois 24,5x18,2cm - Florence - Galleria degli Uffizi

De 1934 à 1949, Longhi est professeur d'histoire de l'Art à l'Université de Bologne. Il formera plusieurs générations d'historiens d'art. Parmi ses élèves, Mina Grégori (Commissaire de cette exposition, spécialiste de Caravage), et le cinéaste Pasolini qui plus tard lui dédicacera son deuxième film Mamma Roma.

Mina Grégori explique que "la méthode de Longhi c'était l'œil….il a enseigné à ses élèves à penser avec le regard".

Pasolini disait de Roberto Longhi "il a été tout simplement, la Révélation" la confrontation des formes et l'arrêt sur les détails dans l'étude de Masaccio, Piero della Francesca, Caravage "était déjà du cinéma". Etrangement Pasolini, comme Caravage, sera retrouvé sur la plage d'Ostie près de Rome, assassiné à l'âge de cinquante cinq ans.

En 1949, c'est pour Longhi la consécration. Il est nommé à la chaire d'histoire de l'art médiéval et moderne de l'université de Florence (il demeure depuis dix ans dans les collines florentines). Il y exercera jusqu'en 1966.

Sa collection comprend 256 œuvres, maîtres anciens et modernes confondus, que Longhi se plaisait à comparer : Léonard à Renoir, Courbet à Caravage. Cette méthode critique innovante était faite d'aller-retour incessants entre les maîtres anciens et la peinture moderne. "L'histoire passée se colore toujours de celle du présent".

C'est sans doute grâce à Roberto Longhi que les amateurs d'art du XXe siècle ont soudain aimé Piero della Francesca , peut-être Giotto et surtout Caravage. En 1951, Roberto Longhi organise à Milan, au Palazzo Reale, une exposition "Caravage et les Caravagesques" qui connaît un grand succès. En 1985, le Metropolitan Museum de New York présente "l'Age de Caravage" avec des originaux récemment identifiés, et en 1988 le Grand Palais propose "Le Siècle du Caravage dans les collections françaises".

Caravage, peintre réaliste, adepte des gros plans et des cadrages serrés, spécialiste des clairs obscurs saisissants, est désormais considéré , grâce à Roberto Longhi, comme le génie précurseur de l'école naturaliste du XIXe siècle.

Roberto Longhi décède le 3 juin, chez lui Villa il Tasso, sous le regard du "Garçon mordu par un lézard". La Villa il Tasso est devenue la Fondation Longhi, lieu de pèlerinage des étudiants d'art italien.

Ne manquez pas cette superbe exposition, la foule n'y est pas considérable, seuls quelques groupes sont gênants. Il est facile de s'approcher des œuvres. C'est aussi un plaisir de flâner ensuite dans les appartements de ce bel hôtel particulier dont la collection de meubles et d'œuvres d'art est remarquable. J'aime y retrouver quelques tableaux de Botticelli, Carpaccio et Paolo Uccello.

Dosso Dossi (vers 1489-1542) Garçon à la corbeille de fleurs  - détail - 1524, huile sur bois transposée sur toile 67,3 x 65,2 - Fondazione Longhi

Dosso Dossi (vers 1489-1542) Garçon à la corbeille de fleurs - détail - 1524, huile sur bois transposée sur toile 67,3 x 65,2 - Fondazione Longhi

Caravage - Amour endormi 1608 - huile sur toile 72x105cm - Florence Palazzo Pitti

Caravage - Amour endormi 1608 - huile sur toile 72x105cm - Florence Palazzo Pitti

Orazio Borgianni (1574-1616) Déploration  du Christ - vers 1615 - huile sur toile 73,8x90,3cm - Fondation Longhi

Orazio Borgianni (1574-1616) Déploration du Christ - vers 1615 - huile sur toile 73,8x90,3cm - Fondation Longhi

Matthias Stomer - Annonce de la naissance de Samson à Manoach et sa femme - vers 1630 - huile sur toile 99x124,8cm - Fondation Longhi

Matthias Stomer - Annonce de la naissance de Samson à Manoach et sa femme - vers 1630 - huile sur toile 99x124,8cm - Fondation Longhi

Giovanni Lanfranco - David avec la tête de Goliath - vers 1617 - huile sur toile, 130x152,5cm - Fondation LonghiGiovanni Lanfranco - David avec la tête de Goliath - vers 1617 - huile sur toile, 130x152,5cm - Fondation LonghiGiovanni Lanfranco - David avec la tête de Goliath - vers 1617 - huile sur toile, 130x152,5cm - Fondation Longhi

Giovanni Lanfranco - David avec la tête de Goliath - vers 1617 - huile sur toile, 130x152,5cm - Fondation Longhi

Matthias Stomer - Guérison de Tobit - vers 1640-1649 - huile sur toile 155x207cm - Fondation LonghiMatthias Stomer - Guérison de Tobit - vers 1640-1649 - huile sur toile 155x207cm - Fondation Longhi

Matthias Stomer - Guérison de Tobit - vers 1640-1649 - huile sur toile 155x207cm - Fondation Longhi

A la fin du parcours de l'exposition, j'ai été émerveillée et impressionnée par les trois magnifiques tableaux de Jusepe de Ribera installés côte à côte et de même format 126 x 97cm : Saint Barthelemy, Saint Thomas et Saint Paul. (Jusepe Ribera - 1591-1652) Lorsque Longhi fit l'acquisition de ces tableaux, il leur trouvait une similitude à l'art de Ribera qui s'était installé très jeune en Italie. Ils ont été attribués à Ribera en 2000.

cliquez sur les images pour les agrandir
De Giotto à Caravage - Musée Jacquemart-André - mai 2015De Giotto à Caravage - Musée Jacquemart-André - mai 2015De Giotto à Caravage - Musée Jacquemart-André - mai 2015

NOTA

Le Musée Jacquemart-André était à l'origine la demeure d'Edouard André. La construction de ce magnifique hôtel particulier fut commencée en 1868 (architecte Henri Parent). Edouard André , après une carrière militaire, décide de se consacrer uniquement à sa collection de tableaux, de meubles et d'objets d'art. En 1872 Il commande un portrait à Nélie Jacquemart . Il l'épousera en 1881.

En 1876, un grand bal marque l' inauguration de l'hôtel. Il est relaté dans le journal " l'Illustration" : « Rien ne manquait d’ailleurs pour faire du bal de M. André une de ces fêtes à sensation, dont les magnificences font époque. Les murs des deux pièces d’entrée, le vestiaire et le vestibule disparaissaient sous une tenture odorante de violettes et de camélias. Les dorures du double salon de danse ruisselaient, étincelantes sous les feux de mille bougies. »

Le Musée appartient depuis 1912 à l'Institut de France.

Gustave Courbet (1819 - 1877) Le Désespéré, autoportrait - vers 1843 - huile sur toile 45x54cm - collection particulière

Gustave Courbet (1819 - 1877) Le Désespéré, autoportrait - vers 1843 - huile sur toile 45x54cm - collection particulière

Musée Jacquemart-André - 158 bd Haussmann - 75008 PARIS.

Exposition jusqu'au 20 juillet 2015

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B
Merci et bravo pour votre magnifique blog d'une grande qualité . Vos photos sont magnifiques ! .
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N
c'est vrai ton enthousiasme est contagieux, c'est pour cette raison que nous sommes tes fidèles lecteurs. Tu as gagné tout le monde t'adore! Plein de bisous.
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C
Je suis tout à fait d accord avec Rufus. Tes articles permettent aux "naifs" dont je fais partie de dépasser le stade du "j aime ou j aime pas!" Merci à toi pour ça et merci à Rufus pour son choix plein de tact du mot "naïf" plutôt qu'ignorant !! ;-) Gros Bisous
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L
L'evocation de la vie du Caravage est passionnante, et, grace al'interet que les collectionneurs ont porte a tout ces peintre, nous avons la chance,et grace a toi, de pouvoir les decouvrir en ce qui me concerne, et, tu titille ma curiosite!!!! Gros bisouset merci
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R
Chère Michèle. la lecture de votre article libère chez moi une lourde tendance naturelle au "pompeux", allons y ! vous incitez souvent les plus naïfs de vos lecteurs à dépasser le "j'aime ou j'aime pas" sans savoir pourquoi. Ici, après cette présentation, Caravage devient, pour nous, un peintre particulier, familier cependant, un ami, nous verrons désormais différemment ses toiles. Pour cette aide merci, merci chère Michèle.
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E
Caravage sulfureux comme Pasolini, on ne peut que rapprocher leurs destins - quoique j'ai lu que Caravage serait peut être mort de paludisme à l’hôpital, merci encore une fois, Michèle, pour ce passionnant reportage
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