Quel tableau de Fragonard, mieux que cet adorable "Amour folie", pourrait accompagner les vœux de bonheur et de santé que je forme pour mes fidèles lecteurs.
"L'Amour folie" est le dernier tableau présenté à l'exposition consacrée à Fragonard au Musée du Luxembourg. Le chérubin, emporté par la folie amoureuse (symbolisée par une marionnette rose à visage de fou) quitte la terre et les bosquets de roses pour s'élancer vers un ciel bleu où volent des oiseaux. C'est joyeux, léger, pur, et présage le préromantisme. "L'Amour folie" semble bien éloigné du titre un peu accrocheur "Fragonard amoureux galant et libertin", même si le terme "libertin" n'a pas à cette époque une connotation sensuelle, voir immorale, mais qualifie un libre penseur qui transgresse des siècles d'interdit et de tabou imposés par l'Eglise.
Fragonard nait à Grasse en 1732, ville à laquelle il restera attaché. La famille s'installe à Paris vers 1738 (sous le règne de Louis XV). Comme Matisse beaucoup plus tard, Fragonard devient un court temps petit clerc de notaire. Il entre ensuite quelques mois dans l'atelier de Chardin (il prépare la palette de maitre). Fragonard a environ 16 ans quand François Boucher lui ouvre les portes de son atelier, il y restera trois années. En 1752 il remporte le Grand Prix de l'Académie royale avec "Jéroboam sacrifiant aux idoles" et intègre l'école royale des élèves protégés, dirigée par Carle van Loo.
"Jeroboam sacrifiant aux idoles". 1752 Huile sur toile 111,5 x 143,5cm - Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts Paris
Il part à Rome où il est pensionnaire de l'Académie de France. Devenu l'ami d'Hubert Robert, il fait la connaissance de l'abbé Saint-Non, avec eux il visite l'Italie.
Lorsque Fragonard rentre à Paris en 1762, Rousseau vient de publier "La Nouvelle Héloïse". La peinture de Fragonard sera le reflet de la littérature et de la philosophie de son siècle.
En 1765, Fragonard est agréé à l'Académie royale de peinture avec "Le Grand Prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé". L'œuvre triomphe au salon. Fragonard obtient un atelier au Louvre. Au XVIIIe siècle, le Louvre, devenu le palais des peintres s'était transformé en une communauté de grands artistes occupant des ateliers.
Dans une esquisse préparatoire Fragonard avait représenté Corésus en vieillard, il le transforma pour la toile définitive en jeune homme androgyne, ce qui dérouta ses contemporains qui ne reconnaissaient plus les caractéristiques de l'homme et du prêtre.
"Le Grand Prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé" - Esquisse (Musée d'Angers) et huile sur toile 3,09 x 4 m (Musée du Louvre)
En 1769, il épouse Marie Anne Gérard, artiste peintre en miniature et originaire, comme lui, de Grasse. On connait peu de chose de la vie personnelle et de la jeunesse amoureuse de Fragonard, mais d'après les témoignages les plus fondés il fut bon époux et bon père. Le couple aura deux enfants, Rosalie et Alexandre-Evariste qui deviendra un peintre célèbre.
En 1777, Fragonard réalise pour le marquis de Véri "Le Verrou", et en pendant "L'Adoration des Bergers". Cette confrontation peut apparaître étrange, mais en y regardant bien les deux tableaux sont complémentaires. "Le Verrou" représente la tentation charnelle. Un homme déshabillé retient dans sa chambre une femme. Il cherche à fermer le verrou. Est-elle entrée de son plein gré dans la chambre ? Une pomme est posée sur le guéridon pour une Eve qui va peut-être finalement succomber, ou être forcée. A l'opposé "l'Adoration des Bergers" représente Marie, l'Eve pure de la création, les bergers s'inclinent de loin.
1789, c'est la prise de la Bastille et le début de la Révolution. Fragonard fait un séjour à Grasse. De retour à Paris il abandonne progressivement la peinture, devient membre de la "commune des arts" et est nommé conservateur du Muséum central des arts au Louvre. Inauguré en 1793. Louis XVI vient d'être guillotiné.
Fragonard s'éteint le 22 août 1806 dans son logement du Palais Royal.
Si Fragonard a exploré avec bonheur la thématique amoureuse, les nombreuses œuvres exposées au Musée du Luxembourg prouvent qu'il aborda bien d'autres genres : paysage, peinture d'histoire, grand décor et portrait.
Les peintures accrochées dans les premières salles, titrées "mythologies galantes", sont mes préférées : "Céphale et Procris", "l'Aurore triomphant de la Nuit" et son pendant "Diane et Endymion", "Jupiter et Callisto". Au delà du drame, charme et volupté dominent. Les velours verts et turquoises vibrent avec les roses tendres : c'est soyeux, lumineux, je suis subjuguée.
"L'Aurore triomphant de la Nuit" vers 1755-56 - Huile sur toile 95,3X131,4cm - Boston Museum of Fine Arts
Autres tableaux exposés :
"L'Enjeu perdu" ou "le Baiser gagné" - vers 1759-1760 - huile sur toile 48,3x63,5cm Metropolitain Museum of Art - New York
Petite parenthèse - Mon admiration pour Fragonard n'est pas nouvelle. J'ai interprété il y a longtemps ce tableau, chevalet installé dans la Grande galerie du Louvre où ne déambulait pas la foule d'aujourd'hui ...
"Deux Femmes sur un lit jouant avec deux chiens" ou "Le lever" - vers 1770 - huile sur toile 74,3x59,4cm - collection particulière
"La Poursuite" et "La Surprise" - huile sur toile 70x38cm - vers 1771 - Musée d'Angers. Ces deux petites peintures étaient préparatoires au décor du pavillon de Louveciennes de la comtesse Du Barry . Celle-ci les refusa.
Un coup de cœur pour cette froufroutante et délicate "Laitière et le pot au lait", illustrant La Fontaine. Légère et court vêtue, le lait répandu, la fortune de Perrette s'échappe sous la forme d'un nuage.
Des peintures délicates et puissantes, de nombreux dessins, livres et gravures vous attendent jusqu'au 24 Janvier 2016... courrez !!