ANNEE 1538-1540 et début 1550
Lors d'un séjour à Venise, je me souviens être restée étourdie devant le fourmillant "Paradis" du Tintoret, dans la salle du Grand Conseil du Palais des Doges. L'œuvre spectaculaire se déploie sur sept mètres par vingt-deux, les bienheureux s'y pressent dans des vagues d'ombres et de lumière.
Je retrouve dans les œuvres de jeunesse du peintre, réunies dans l'exposition du Musée du Luxembourg, les prémices de cette grande mise en scène avec les premiers plans dans "Jésus parmi les docteurs" (1539), les tumultes dans "La conversion de Saint-Paul" (1538/1539), les contre-plongées impressionnantes dans les décors pour le palais de Vettor Pisani (1542).
Jésus parmi les docteurs (dit aussi La Disputa) 1539 - Milan Musée del Duomo - cliquez sur les images pour les agrandir
Les tableaux pour le palais de Pisani ont trouvé leur inspiration à Mantoue. Tintoret et Pisani ont fait le déplacement avant 1541 pour admirer le décor du palais du Té peint par Jules Romain vers 1527. Tintoret n'a que vingt-deux ans lorsqu'il décore le palais Pisani, un siècle plus tard, Carlo Ridolfi, son premier biographe, parlera d'un renouveau sans précédent dans l'histoire de la décoration intérieure. Deux magnifiques décors hexagonaux sont présentés au Musée du Luxembourg.
Jupiter et Sémélé et Deucalion et Pyrrha priant devant la statue de Thémis. huile sur bois - 127x124cm - Modène, Gallerie Estensi - cliquez sur les images pour les agrandir
Les tableaux "extravagants" du Tintoret, comme le soulignait Vasari, contrastent avec le style sobre des portraits se détachant sur un fond sombre, sobriété virtuose qui pourrait s'expliquer par la multiplication des commandes de portraits à la fin des années 1540.
A la différence de Florence, Venise n'est pas une cité princière, le marché de l'art y fait son apparition plus tôt qu'ailleurs pour proposer à la vente des peintures. Peintre indépendant, Tintoret travaille vite et avec acharnement, il n'hésite pas à casser les prix, au grand dam de ses rivaux, car la concurrence fait rage.
Tintoret donne à ses personnages une densité et une solidité de statues qui provient des liens qu'il entretient avec la sculpture (mais parfois les silhouettes allongées et les visages amincis s'apparentent à ceux du Gréco). L'époque est au débat, à savoir quel est l'art le plus noble, peinture ou sculpture. Le peintre estompe la controverse avec sa pratique : pour travailler une toile il utilise des moulages ou des copies de statues de Michel Ange, exécute et fait exécuter par son atelier des dessins d'après des moulages de sculptures.
Si la plupart de ses tableaux laissent apparaître un coup de pinceau libre et rapide et des touches apparentes, Tintoret peut aussi travailler de manière soignée : artiste éclectique, il s'adapte sans doute selon les nécessités.
Ce "petit teinturier" (Tintoret parce qu'il est issu d'une famille de teinturier et qu'il est de petite taille) est à la tête de son propre atelier à Venise alors qu'il n'a que 19 ans. En dehors de ce fait on ne sait presque rien de lui.
En 1548, il peint "Le Miracle de l'esclave" pour la Scuola Grande di San Marco (1) , la plus grande confrérie de Venise : le Saint à la tunique rouge surgit de l'espace et fonce sur la foule pour sauver l'esclave (le Saint aurait pu inspirer un héros cinématographique du XXe siècle).
(1) Confréries caritatives et laïques, propres à Venise, qui tempéraient les multiples corporations et guildes - dont celles des artisans, des pêcheurs, des peintres etc...-
Le Miracle de l'esclave - 1548 - huile sur toile - 451x541 - Venise Galerie dell'Academia - image internet
C'est la consécration pour Tintoret, suivront les années de gloire avec les commandes importantes pour le Palais de Camenlerghi, le Palais des Doges, et son chef d'œuvre, les soixante-cinq fresques de la Scuola Grande di San Rocco.
A noter également deux œuvres majeures de ses dernières années : "La Cène", synthèse de ses recherches artistiques (profondeur de l'espace et perspective, harmonie de l'agencement des personnages, couleurs absorbées par la lumière), et son "Autoportrait" de 1587.
Autoportrait - Musée du Louvre - image internet
Jacopo Robusti (dit Tintoret) né en 1518 à Venise, n'a pratiquement jamais quitté sa ville. Il décède dans sa maison de la Fondamenta del Mori le 31 mai 1594. Il contribua à faire de Venise une des plus grandes villes d'art du XVIe siècle. L'exposition du Musée du Luxembourg célèbre le 500e anniversaire de sa naissance.
La maison de Tintoret
Tintoret étant rarement exposé en France, cette exposition est à voir absolument et même à revoir. Je souhaite que les photos qui suivent vous donne envie de vous y précipiter.
1) Portrait de Marco Giustignan - 1559 ? Worms - 2) Portrait de Lorenzo Soranzo ? - 1547 - 3) Portrait d'homme (1547-1548 ou vers 1557 - Florence - cliquez sur les images pour agrandir
La Sainte Famille avec le jeune Jean-Baptiste vers 1550. Huile sur bois - New Haven - L'intérêt de ce tableau est de dévoiler le processus créatif. Il servait peut-être de pièce de présentation destiné à impressionner le client potentiel - cliquez sur les images pour agrandir
Et, mon coup de cœur pour l'éclat et la fraicheur de ces tableaux rectangulaires, appartenant à un ensemble de sept peintures - un tableau ovale et six panneaux rectangulaires - qui content l'héroïsme des femmes de l'Ancien Testament.