L'exposition Picasso-Calder fut une merveilleuse surprise pour moi. Ce n'est pas seulement un partage d'espace de deux grands maîtres de l'art moderne, inventifs et libres, mais un face à face, une complicité réinventée. On pourrait croire facilement qu'ils ont échangé leurs idées, qu'ils ont joué à se défier gentiment : "Vois ce que j'ai fait dit Picasso", "Regarde ça répond Calder". On voyage entre le figuratif et l'abstrait, entre le solide ancré sur terre et l'aérien, entre le creux cerné de fil de fer, et le plein creusé, les deux hommes s'appropriant le vide.
Complicité réinventée parce qu'il est dit que ces deux artistes se sont peu côtoyés. Ils se seraient rencontrés seulement quatre fois. Une génération les sépare.
Picasso est né en 1881. Calder naît en 1898 en Pennsylvanie, son père est sculpteur, sa mère peintre.
A l'origine Calder ne veut pas devenir artiste, il montre pourtant, dès l'enfance, un don remarquable pour la création de petites sculptures. Il s'inscrit au Stevens Institute of Technology après le lycée et obtient son diplôme d'ingénieur en 1919. Il travaille pendant plusieurs années, comme ingénieur dans l'hydraulique et dans une exploitation forestière, puis comme pompier dans la chaufferie d'un navire.
En 1923, il s'installe à New-York et s'inscrit à l'Art Students League. Il devient illustrateur pour la "Gazette de la police nationale" pour laquelle il dessine des scènes de cirque en 1925.
Arrivé à Paris, en 1926 il commence à construire son "Cirque". Le cirque de Calder est à base de fil, de cuir, de tissu et autres matériaux. Les petites pièces sont rangées dans une grande malle ce qui permet à Calder de transporter facilement l'ensemble et d'organiser des spectacles durant souvent des heures.
Je ne me lasse pas de regarder les séquences filmées du "Cirque", c'est drôle, tendre, ingénieux. Le cirque préfigure, pour moi, toute l'oeuvre de Calder, en particulier ses mobiles, quand tombe sur la chanteuse une pluie de pétales. C'est avec son cirque que Calder découvre qu'il aime travailler le fil de fer.
En 1930, Calder visite l'atelier de Mondrian. Très impressionné il s'adonne alors à la peinture abstraite, mais s'aperçoit très vite qu'il préfère la sculpture.
1931 - Lors de sa première exposition à la Galerie Percier à Paris "Volumes-Vecteurs-Densités", Picasso arrive avant le vernissage pour avoir le temps d'étudier les oeuvres. Ce serait leur première rencontre.
1932- Calder expose ses premiers "mobiles" (baptisés ainsi par Marcel Duchamps) à la galerie Vignon à Paris. Certains critiques parlent "d'art automobile".
1936 - Calder expose à Londres au New Burlington Galleries. A cette importante exposition surréaliste, participent de nombreux artistes dont Picasso, Dali, De Chirico, Miro, Ernst etc. Dali y arrive en tenue de scaphandrier et à la suite d'un long discours manque de s'asphyxier.
Autre rencontre possible de Calder et de Picasso : en 1937 à l'exposition Internationale des arts et techniques, où Picasso présente "Guernica" au Pavillon espagnole et Calder "La fontaine de mercure".
Avec d'autres prestigieux artistes, Picasso et Calder ont reçu une commande pour le Palais de l'Unesco. Picasso propose "La chute d'Icare" (qu'il ne signera pas estimant que son oeuvre est en partie cachée par une passerelle) et Calder "Spirale". L'inauguration a lieu le 3 Novembre 1958. Calder et Picasso assistent-ils à l'inauguration ? Se rencontrent-ils ?
Chacun d'eux suit son chemin...
- 1943, rétrospective Calder au MOMA de New-York.
- 1952, Calder reçoit avec Dufy le grand prix de la Biennale de Venise, alors que Picasso présente, au salon de Mai à Paris "La Chèvre"
- 1957, Calder s'installe en Bretagne, ses mobiles qui dans les années 30 étaient animés mécaniquement, sont installés à l'extérieur et c'est le vent qui les fait bouger. Il conçoit également des "stabiles" construction statiques posés à terre.
Dès les années 1960 le talent de Calder est reconnu dans le monde entier.
- 1964, une rétrospective de son travail est inaugurée au Musée Guggenheim de New-York et en 1969 à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence.
Le 19 Novembre 1966 a lieu l'inauguration de la rétrospective Picasso au Grand Palais à Paris (je verrai cette exposition en janvier 1967, j'ai gardé un souvenir précis de quelques tableaux).
En 1976, Calder assiste à une nouvelle rétrospective de ses œuvres "Calder's universe" au Whitney Museum de New-York, il meurt quelques semaines plus tard à 78 ans.
Picasso l'a précédé en 1973 à 92 ans.
Les petits-fils des deux artistes, Bernard Ruiz-Picasso et Alexander S.C.Rower, ont mis en scène, avec Claire Garnier et Emilia Philippot, expertes du Musée Picasso, les œuvres de leurs grands-pères, en un jeu de correspondance égalitaire, soixante-quatre œuvres chacun.
Je suis ressortie de cette visite sur une planète rêve la tête dans les étoiles.
Vous avez jusqu'au 25 août pour aller rêver.
photos M.PELLEVILLAIN
Picasso - Femme au fauteuil rouge - Huile sur toile - 1932/ Calder - Requin et baleine, bois exotique peint - 1933
Calder - Louisa's Valentine - Tôle, carton, fil de fer 1955/Picasso - Tête de femme - crayon sur papier découpé - 1962
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