LA FABRIQUE DU GESTE
Il fait un temps merveilleux à Paris ce 7 février. Le musée d'Art Moderne a retrouvé son entrée avenue du Président Wilson, mais certains murs extérieurs sont encore dissimulés par des échafaudages, ce qui prouve que l'on continue à l'embellir.
L'exposition Hans Hartung peut être une prolongation de ma visite récente à l'exposition de Pierre Soulages : ils ont été très amis dès 1947 et le sont restés jusqu'à la mort d'Hartung en 1989.
Hans Hartung est l'un des plus grands inventeurs du langage abstrait et pour lui le geste était primordial.
Dès la fin des années 1940, Hartung rencontre un succès considérable. 1950 en est la consécration internationale. Il sera le pionnier des mouvements abstraits de la seconde partie du XXe siècle : art informel, action painting, tachisme, abstraction lyrique. L'abstraction lyrique c'est laisser parler le geste sur la toile, peindre d'instinct ; cette conception écrasera toutes les autres sous l'appellation "Nouvelle Ecole de Paris" jusqu'à ce que d'autres artistes, d'autres critiques plus jeunes l’évincent. La Nouvelle Ecole de Paris sera confrontée à une rivale "l'Ecole de New-York" qui aura une autre vision de la peinture avec Pollock, Kline, Rothko...
Pierre Soulages dit que Hans Hartung "pouvait être très sympathique, surtout lorsqu'il était en confiance. Mais au premier abord il était parfois distant, fermé". Hartung était un homme blessé, blessé moralement par le nazisme. Né à Leipzig en 1904, il est contraint en 1935 de fuir l'Allemagne pour la France. Il s'engage dans la Légion Étrangère. Blessé durant l'attaque de Belfort en 1944, il perdra une jambe. Il sera naturalisé français et recevra la Croix de guerre.
En 1929 Hartung a épousé Anna-Eva Bergmann, également peintre. A l'aube de la seconde guerre mondiale il se séparent, mais se remarient en 1952 pour ne plus se quitter se soutenant l'un l'autre dans leurs créations. Ils s'installeront à Antibes en 1973 dans une superbe maison moderne, devenue une Fondation (ils n'ont pas eu d'enfants).
Toute sa vie, Hartung restera dans l'abstraction mais sans être figé, il poursuivra en permanence ses recherches et expérimentations de matières, de contrastes, de tracés.
La peinture d'Hartung semble opposée à celle de Soulages : il joue avec la couleur, Soulages n'utilise que le noir, Hartung privilégie le geste rapide, Soulages a un geste ralenti, contrôlé, très éloigné du lyrisme.
Jusqu'aux années 1960 Hartung aura une manière très particulière d'être lyrique, mais il ne l'est que dans les petits formats exécutés en quelques secondes sur du papier. Il choisit ensuite parmi ces petits formats ceux qu'il considère pouvoir devenir une oeuvre sur toile. Il reporte alors au "carreau" et au millimètre près son dessin. Sa spontanéité est donc suivie d'un travail rigoureux. Il a élaboré cette technique du report dans les années trente alors qu'il n'avait pas les moyens d'acheter toutes les toiles qui lui auraient été nécessaires. Il la poursuivra plus de trente ans. Cette application à reproduire ce geste minutieux et contrôlé le rapproche de Soulages. Ils ont aussi la même détermination à mettre en avant "La Peinture" et non leur personnalité : Soulages signe au dos de ses toiles, Hartung d'une écriture si minuscule en bas de ses tableaux qu'il faut être tout près pour la découvrir.
A partir des années 1960, Hartung incise la matière, inspiré par la gravure et l'eau forte qu'il pratique. Il n'ajoute pas de matière il en enlève : "n'importe quoi qui griffe, gratte : ongles, brosses à dents, épingles" et toutes sortes d'outils prolongement de son bras qu'il fabrique lui-même : fourches pinceaux, tampons, raclettes etc...
Dans les années 1970 pour badigeonner ses toiles de noires il utilise des rouleaux à lithographie qui enduisent la toile de façon plus inégale qu'un rouleau de peinture. Il utilisera aussi la sulfateuse annonciatrice des aérosols.
Octogénaire, handicapé, sa main n'est plus aussi agile. Pourtant, avec l'aide de ses assistants, ses tableaux n'ont jamais été aussi grands. Il utilise des pulvérisateurs et des balais de genêts coupés dans son jardin. Sans toucher la toile au sol, de loin, il donne de l'amplitude à son geste.
Il ne faut pas oublier "Hartung photographe". Il a réalisé des milliers de photographies "j'ai la manie de tout photographier parce que la photo est ma seconde mémoire".
Hans Hartung décède à Antibes en décembre 1989, il aura eu l'émotion de voir tomber, le 9 Novembre, le mur de Berlin avec le désenclavement de sa ville, Leipzig, allemande de l'Est.
Hartung, Soulages, alter ego dans la vie...devant leurs œuvres grands formats, devant les lourdes portes noires de Soulages ou devant l'infini nuageux d'Hartung dans lequel je flotte sans repères, j'ai le même sentiment d'être face à l'au-delà : face à moi-même.
Texte et photos Michèle Pellevillain
Les dessins écritures - En 1942, alors qu'il a trouvé refuge chez les Gonzales dans le Lot, Hartung réalise des motifs calligraphiques, dont certains lui serviront de source pour certaines oeuvres d'après guerre. Recherches quotidiennes à la manière de gammes en musique ou d'exercices d'écriture.
T 1949-26 - HUILE SUR PANNEAU DE BOIS. Hartung note dans ces archives que le fond serait de 1939 et la graphisme de 1945, une continuité entre l'avant guerre et l'après, occultant la période noire.
Et mon grand coup de cœur, la dernière salle 1987
Je vois dans cette toile la crucifixion, la douleur de Marie, la tache noire, et la résurrection, le bleu...
Et la dernière oeuvre du Maître
Une exposition riche en œuvres dans les belles salles lumineuses du MAM. Jusqu'au 1er MARS 2020. A ne pas manquer pour voir l'extraordinaire qualité des matières d'Hans Hartoung que les photographies ne peuvent pas montrer.